JALONS DANS LES MILLENAIRES

Vénus de Lespugue

JALONS DANS LES MILLÉNAIRES

Parfois quand je tousse j’ai peur de trop tousser, peur que ça soit une mauvaise toux, puis ça passe & j’oublie, oublie la toux et ma peur de la toux, d’autres choses m’occupent et m’attirent, je vais regarder, ne me rassasie pas de regarder, avant toute peinture il y eut sculpture, exprimer désir & crainte, façonner, il y a trente mille ans la Vénus de Lespugue, aberrantes rondeurs, c’était longtemps avant Adam & Eve, qui eux sont beaucoup plus jeunes, Adam c’est Dieu himself qui le façonna, avec ses dix doigts et un paquet d’argile bien humide & homogène, très souvent je me laisse aller à des méditations sur le temps, je fais des mesures, essaye de mettre de l’ordre dans les millénaires, de la suite dans les siècles, prenant soin par exemple de correctement situer Moïse, et plus tard Pythagore, puis Origène, et récemment Spinoza, c’est des moments où la toux ne m’empêche pas de respirer, c’est des moments sans toux, je suis dans une sorte d’insouciance, me laisse aller, me permets d’aller, me promets de bouger, ne me surveille pas, il y a assurément quelque chose d’Adam en moi, je ne sais quelle langue il parlait, il n’avait pas encore beaucoup de mots, il ne nuançait pas, disait : ça c’est l’iguane, ça c’est le pourpier, il faisait des phrases brèves, en ce temps-là il n’y avait pas encore les adjectifs, il n’y avait pas encore les subordonnées introduites par que, le subjonctif n’était pas encore en place, aujourd’hui pour le désir & la crainte nous mettons le subjonctif pour mieux nous faire entendre, quand je pense au cul de la Lespugue, c’est le domaine du désir, quand je tousse c’est le domaine de la crainte, et tout ça, aujourd'hui, demande une grammaire correcte.

LA PIVOINDE CERVANTÈS

proseries

éditions La part commune, 2011

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