samedi 24 mars 2018

LE CAHIER HEMA NOIR - chapitre 53

peinture Pierre Aleschinski



53.
Sans s’inquiéter, elle laisse passer le jour, puis encore un jour, puis encore un jour, puis encore un jour, et les nuits qui vont avec, elle laisse passer les nuits & les jours, elle ne sait même pas où je suis, elle ne s’en inquiète pas, mais où a-t-il disparu, elle se demande pas ça, où est-il allé dans la nuit, ou dans le jour, elle se demande pas ça, elle laisse passer les jours & les nuits sans s’inquiéter un seul instant, est-ce que j’eksiste encore, demande Naroki avec son accent de la banlieue de Nagoya, est-ce que j’eksiste encore ou suis-je déjà enseveli, il pose d’eksistentielles questions, stupides vaniteuses et vaines questions, risible souci de soi, elle ne s’inquiète pas de mon eksistence, je suis déjà enseveli, et elle ne s’en est pas rendu compte, pendant que Melanie de Biasio chante « No Deal », chant immobile, presque sans voix, batterie anxieuse, synthétiseur-orgue déjanté, syncopes & dissonances, juste pour exaspérer les silences, subvertir la mutité, scander les instants, égrener un merdeux chapelet d’inaudibles plaintes, sans s’inquiéter de moi, elle laisse passer les nuits & les jours, on dira qu’elle a un mauvais rhume, et Naroki, au gré des instants et sous la grâce inouïe de l’Astre d’Apollon, se sent plus pimpant que jamais.



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