51.
Disait
Cioran avec une voix marmonnante, un peu déraillée, roulant les R, allant de ci
delà dans l’appart, d’une pièce à l’autre, d’une étagère à l’autre, mais je les
avais, montant sur une chaise, difficilement, il se fait vieux, puis se
baissant jusqu’au plancher, pour examiner la planche d’en bas, je les avais,
ils n’ont pas disparu, je sais que je les avais, ils étaient là, il erre dans
son logis, murmurant d’une voix un peu déraillante, je les avais, ils étaient
là, et sans doute côte à côte, un peu défraîchis, un peu jaunis, Broch et
Musil, mon Broch de 1958 et mon Musil de 1952, de gros livres, on ne peut pas
ne pas les voir, un vert (Broch) et un ocre (Musil), le vert (« Der Tod
des Vergil ») avec jaquette, toile blanc cassé sous la jaquette, l’ocre (« Der
Mann ohne Eigenschaften ») sans jaquette, d’un moment à l’autre je vais
les retrouver, puisqu’ils étaient là, il ne les retrouve pas, déplace la
chaise, remonte dessus, difficilement, il se fait vieux, se rappelle très bien
que les deux livres (Broch et Musil), sans doute côte à côte, doivent se
trouver sur une planche d’en bas, il murmure, je cherche je cherche, roulant
les R, je cherche les livres et perds la tête perds la tête, c’était peu de
temps avant qu’il ne perde la tête, il n’a plus relu ni Broch ni Musil, les
livres sont là, sur une planche d’en bas.
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