mercredi 29 février 2012

perce-neige

perce-neige dans mon jardin




pâle fiancée de la désolance
messagère de la non-saison
tu n’annonces rien, sauf toi-même
aucune abeille ne t’a jamais butinée



dimanche 26 février 2012

mûrir mourir...






Entre mûrir et mourir, il n’y a qu’une petite modulation sonore, une légère hésitation de voyelle, peut-être une faute de prononciation, comme pour rire puis une consonne s’en mêle, et c’est pour de bon pourrir…



mardi 21 février 2012

cet hiver-là à Leningrad...

dessin: Nicolas Maldague, 2011

 pour Lucien Noullez

  
 CHOSTAKOVITCH

cet hiver-là à Leningrad
Chosta travaille avec la pelle
et au fond de son âme germent
les quatuors du désespoir
 
 dans: LES REPENTIRS DE FROBERGER, éditions La Part des Anges, 2011
   

dimanche 19 février 2012

dickwanst, blöder...

peinture: Galant




 dickwanst, blöder
mit deinem traurigen schnurrbart

LOVE steht dir mit gelben buchstaben
geschrieben auf dem hemd

deine hoden
sind wohl zwei kleine gezuckerte feigen



 aus: "Das grosse Rasenstück", éditions Binsfeld, 1981  

mardi 7 février 2012

Amaryllis Treblinka...

amaryllis d'hiver - photo L. Sch.





Tombe neige, tombe monotonement dans la blanche après-midi d’hiver, toutes couleurs estompées dissoutes, tout est blanc & gris, et tombe neige tombe, amaryllis sur le rebord de la fenêtre, à contre-jour devant le paysage monochrome, amaryllis avec ses cinq trompettes rugit sa rutilante vive rougerie, les murs épais de la vieille maison nous protègent, il fait bien chaud ici, il fait silence aussi, silence & solitude, sur la table un petit chevalet avec un livre ouvert, écrit il y a plus de soixante ans, et ce n’est pas de la littérature, pas de la philosophie, c’est un livre qui a l’air d’un livre mais qui n’est pas vraiment un livre, c’est Jankel Wiernik qui a rempli ces feuillets, lors du soulèvement à Treblinka il a réussi à s’évader, dans la maison aux murs épais, on entend soudain le ronronnement rassurant de la chaudière, elle travaille, elle maintient le chaud, elle nous protège, l’amaryllis & moi, ma tout écarlate amaryllis d’hiver, pendant que dehors, dans le silence, la neige continue à tomber, soudain Jankel voit une femme belle, elle était jeune & belle, écrit-il, elle s’est enveloppée dans une large serviette sous laquelle elle cache son bébé, et cherche un endroit où se réfugier, c’est alors que l’Allemand la voit, lui ordonne de descendre dans la large fosse fraîchement creusée, et aussitôt la fusille, elle et son bébé, rouge l’amaryllis d’hiver, rouge & vive & tendre & belle... 

 dans: LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, mai 2012

lundi 6 février 2012

biographème de la chemise blanche...

Mains sur linceul - photo d'une sculpture, par Daniel Blaise, 2010




Il y a cette chemise, l’histoire de cette chemise blanche qui maintenant a un trou dans le dos, à la hauteur de l’omoplate gauche, je l’avais achetée pour une occasion spéciale, sans doute même solennelle, genre horrible mariage ou horrible enterrement, elle m’allait si bien, on aimait me voir dedans, on allait même jusqu’à me trouver beau, et on me le disait, passant outre ma native mocheté, les gens prenaient sur eux pour venir me dire, parfois de loin, venir me dire qu’ils me trouvaient beau, et maintenant il y a ce trou noir dans le dos, non pas un arrachement comme quand on se prend un clou dans le mur à un endroit où on ne s’y attendait pas, non pas une normale déchirure comme ça arrive quand les textiles font accident, non, un vrai trou, en fait un trou noir, une sorte d’obscène orifice liseré de noirceur, comme dans « Il était une fois dans l’ouest », pan pan pan, (alors que, à vrai dire, ce n’était que la braise de ma cigarette malencontreusement détachée et tombée sur la chemise dans la corbeille à linge), je veux dire, donc, une effraction, une violence, je veux dire que maintenant cette chemise qui avait été ma fierté, qui avait si avantageusement flatté mon narcissisme, qui m’avait, contre toute attente, attiré des regards indulgents, qui avait, par l’effet éblouissant de sa blancheur, su gommer sinon maquiller passagèrement ma native ugliness, cette chemise maintenant elle est fondamentalement amochée, je ne pourrai plus l’arborer, à moins que … à moins que, mais oui, soudain j’y pense, à moins que je ne la cache systématiquement sous un de mes gilets — et ainsi, mais oui, je pourrai continuer, sporadiquement, à échapper à ma native mocheté — et tout compte fait, je pense même qu’à l’occasion solennelle de mon enterrement, comme je serai couché sur le dos, on pourra m’enterrer avec, je serai beau.


 dans: LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, mai 2012

dimanche 5 février 2012

AIRELLES DANS LA KOLYMA

airelles de la mort...




Sur le territoire d’une forêt abattue l’hiver précédent, le soldat Siérochapka suspend ci et là des jalons faits d’herbe sèche tressée pour délimiter l’aire de travail de ce jour-là — au-delà des jalons, c’est zone interdite.

La tâche pour la petite troupe de prisonniers consiste à déraciner les souches, de les scier et de les mettre en piles.

Sur le terrain, entre les souches, poussent des buissons d’églantines et d’airelles ; les airelles rouges, saisies par le givre, ont viré au gris bleu et ont gardé leur jus sombre d’un noir bleuté, au goût indiciblement délicieux.

L'un des prisonniers, Rybakov, pendant le travail, en cachette, cueille des baies et les met dans une boîte à conserves : s’il remplit sa boîte jusqu’au soir, le cuisinier du camp la lui échangera contre du pain.

Vers le soir sa boîte est toujours à moitié vide ; il remarque quelques buissons, à deux mètres, au-delà des jalons…

Le soldat Siérochapka a observé la manœuvre, vise et fusille Rybakov.

  (d'après un épisode raconté par Varlam Chalamov)
dans: LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral en mai 2012

vendredi 3 février 2012

ELOGE DES MAITRES

représentation imaginaire de CHAO CHOU




  
Quand aux maîtres on pose la question des questions, celle de la réalité suprême, de l’ultime vérité, ils répondent :

« Tu demandes la vérité suprême ? Le chant du pêcheur s’éloigne le long de la rive… » - Wang Wei  (VIIIe siècle)

Feng-Hsueh, rêveur, répond: « Je me rappelle encore le sud du Fleuve au troisième mois, le cri des perdrix et le parfum de cent fleurs… »  (Xe siècle)

Un jeune moine vient voir Chao Chou : « Maître, je suis encore novice dans le zen, montre-moi le chemin…» Le maître demande : « As-tu déjà pris ton petit-déjeuner ? » — « Oui. » — « Alors va et rince ton écuelle ! » (fin du IXe siècle).


Et Lao-Tseu, au IVe siècle avant notre ère, avait écrit : « La Voie qu’on peut nommer n’est pas la Voie… »

Quand on pose la même question à Jésus, il répond : « JE suis la Voie, la Vérité et la Vie… »

Jésus n’est pas mon maître.


dans: LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, mai 2012

mercredi 1 février 2012

éloge de l'escrivaillerie...

Rembrandt - eau-forte, 1630




Et si chaque note n'était que le prétexte d'un texte qui ne sera jamais écrit? Et si écrire n'était que différer le texte? Et si chaque nouveau texte ne servait qu'à effacer le texte qui sur le blanc du papier est là depuis toujours. Et si, soudain, écrire n'était plus jubilation. Et si, soudain, le sens des mots était insensé. Et si, soudain, il fallait tout biffer. Si j'écris, c'est que je sais, malgré mon goût pour les futilités: j'écris parce que c'est insensé.


 dans: PIEDS DE MOUCHE. Petites proses, éditions phi, 1990