Max Klinger, Mädchenakt, 1907
vingt-sixième
livraison
FAUX
FIL POUR FAUFILURE
33
fragments
(janvier
1994)
Muqueuses
qui luisent humides parmi l'hirsute broussaille. Culs et cons et nichons. Il
s'appelle Eikichi. Il s'appelle Yochi. Il feuillette les Japonaises. Baisse ta
culotte, ouvre tes jambes, fais voir ta vulve. Comme ça. Eikichi tombe dans une
sorte de coma. Un oiseau dans le taillis donne l'alerte. Les feuilles de
l'automne dernier continuent à pourrir. Ton anus est beau. Il regarde.
*
Il
regarde la caissière aux yeux noirs aux cheveux noirs; il imagine ses poils.
Noirs aussi, et presque dans la raie des fesses, autour de l'anus. Il demande:
parlez-moi de vos poils. Je rêve de vos poils. Le blanc de votre ventre et
l'ombre sombre de votre toison.
*
Je rêve
de votre toison. Je rêve de votre culotte qui couvre votre toison, aplatissant
les poils, fermant la fente, vos petites lèvres pliées entre vos grandes lèvres
poilues. L'instant où elle ne penserait qu'à s'étaler, nue, sur la surface du
lit défait, jambes écartées, fente ouverte, petites lèvres décollées. Et après
suffisamment de caresses la liqueur suinterait pour faire glisser le gland.
Mais il dit cela par gentillesse et timidité; il dit cela par parti pris de silence.
Je vous dis ces mots sans les dire. Vous m'en voudriez, je le sais. Mais rester
ainsi accroché à votre regard, à votre sourire...
*
C'est un
trouble. Et mon lexique ne comporte qu'une centaine de mots. Je vous trouve
belle. Voilà. Et rêve à votre corps. Corps de femme. Le nombril. Les seins. Les
cuisses. Les fesses. Et au fond des fesses: l'anus qui n'attend qu'à se décrisper.
La toison, et au fond de la toison: la vulve. Les grandes lèvres doucement
jointes, fermées. Le clitoris dans sa retraite.
*
Je dis
des mots : je parle de votre sexe... un style d'être, où le vivre et
l'écrire sont consubstantiels, s'engendrent réciproquement, s'exigent l'un
l'autre, écrit Jean Bellemin-Noël à propos de Leiris. Et je pense à ça
pendant que j'évoque, secrètement, timidement, la douceur de votre linge qui
adhère à votre peau, réprimant les bouts de vos seins, s'imprégnant, en bas,
des humidités de vos sécrétions. Et vos aisselles que, heureusement, vous
n'épilez pas.
*
Dans
analyse, anal ça passe. Il y a ça, l'étron qui sort, le doigt qui entre, les
deux doigts. Le pénis. Après un temps de caresse précise, deux doigts entrent
sans problème, décrispation. Sésame - c'est cela, ouvre-toi. La caverne
s'ouvre, l'homme entre. Je ne suis pas homme avant. Je ne deviens homme qu'au
moment où le sésame opère. Ouvre-toi, je reviens. Je me fais poisson. Je me
fais poisseux. Je me fais enfant. Parmi les viscosités et les odeurs. Je peux
bien te sentir. Je suis au parfum. Moment où tu ouvres la bouche d'en haut pour
m'engloutir. Tu te remplis de moi. Tu diras: oui, remplis-moi, jette dans moi
ta semence ta jouissance. Elle dit: J'aime ton plaisir.
*
Quand tout
le temps une seule chose compte et que sans cesse on tourne autour en évoquant
n'importe quoi, mais vraiment n'importe quoi pour dire tout mais surtout pas ça
alors qu'il n'y a que ça qui compte: l'avoir debout et dedans.
*
Cinq
cents pages de métaphysique pour ne pas avoir à dire ça! Ton trou m'aimante,
mon amante, je veux y venir. Faufiler, c'est coudre à grands points pour maintenir
provisoirement les parties d'un ouvrage avant de les fixer définitivement. Et
le fil s'appelle : le faufil. Et le travail s'appelle : la faufilure...
*
C’est un
texte dont on ne sort que par la mort.
*
Le bouquet
qu'il offre, c'est des fleurs qu'il met autour de son pénis. Va et vient entre
la trivialité (à ras de vie, de vit) - et le débat, comme toujours, avec
Montaigne. Glissement des homophones: vie vit filles -. L'hébétude, l'aphasie.
Dire contre. Dire pour que cela soit.
*
Discours
paradisiaque du pasteur - il peint une carte postale de l'après-vie; les
couples seront de nouveau ensemble, dit-il, mais pas mariés, ajoute-t-il, on
n'est pas marié au ciel. Et la sexualité au ciel n'existe plus, Dieu l'a dit,
dit-il. Les corps sont immatériels. Les corps sont des âmes, vous comprenez?
Tendre douceur d'une vulve immatérielle... pour provoquer une érection de
l'âme.
*
Je ne souris
pas, je suis songeur.
*
Les
croyants sont si émouvants, racontent des bourdes tellement sublimes. Si je ne
rêve pas au paradis, à quoi est-ce que rêve au juste? Je ne rêve pas. Je me languis
de mon amante qui est loin en ce moment. Je rêve doucement de mon amante. Ce
n'est pas un paradis, ce n'est qu'un peu de chaleur, de la peau, un sourire, un
regard, - et son appel: prends-moi, j'aime que tu me prennes, ce n'est qu'un
peu de fragilité qui appelle la tendresse de mes mains, de ma bouche, ce n'est
qu'un peu de mortalité qui appelle mon érection.
*
Ce n'est
presque rien mais c'est magnifique; quand nous nous étreignons, enlacés l'un
dans l'autre, nous sommes heureux.
Attention aux mots qui me girent dans la tête.
*
Comment
piégerais-je les mots si mes rêves, tous, m'échappent un à un. Je vais
compenser cela en m'inventant des rêves (comme celui de la limousine blanche![1],
bidon, mais tellement significatif; je l'ai raconté pour exprimer quelque chose
- pour accuser/susciter la con-plicité de Rhamsès IV ( qui de toute façon était
déjà dans les pliures du con). Et mon index, — quand? — , sur son anus
palpitant; mes lèvres sur son anus pour être plus près d'elle. J'ai déslippé la
princesse.
*
Il dit:
écoute-moi. Il dit: je t'écrirai une lettre. Il dit: ne réponds rien. Il n'y a
rien à répondre. Il dit: j'ai quelque chose à te raconter. Con. Tu écouteras si
tu veux, mais que tu le veuilles ou non, dans raconter il y a con, toujours.
*
Je te raconterai
une histoire très très triste, une histoire qui se termine avec la mort, la
mienne, la tienne, - la tienne surtout, dans histoire il y a toi, toujours.
J'ai écrit il y a quelques années un petit livre qui s'appelait Les crachats
de la cinquième saison. Cent pages. La mort. Dans ce petit livre il y avait
la mort. Je ne pouvais faire autrement que d'y mettre la mort. Je dis le mot
mort comme je dis le mot cul, je dis des mots.
*
Quand je
dis : il dit, c'est pour rapporter quelque chose, j'enregistre, conserve ses
paroles telles qu'il me les dit comme sans doute il ne les dit à personne
puisqu'il ne parle à personne; parfois il insiste très vivement: retiens ça,
retiens ces mots-là! Cela lui fait manifestement du bien que de temps en temps
je l'écoute.
*
Il dit:
tu es mon écoute, je te remplis les oreilles, note ça! Je dois enfin parler du
corps, des corps, je dois parler du corps de l'amante, de sa beauté, de sa
douceur. Dans une brasserie à P., vis-à-vis de la gare de l'est, j'ai commencé
à lui écrire, parce que depuis si longtemps je dois lui écrire, lui transmettre
des mots que j'ai dans la tête et qui n'arrêtent de circuler dans les
circonvolutions de ma cervelle et si je ne les lui transmets pas, elle croit
que dans ma tête il ne se passe rien alors qu'il y a tant de choses qui se passent,
pendant que j'étais en elle, mes doigts et mon membre, elle avait demandé:
comment c'est pour toi?, — et je n'avais pas vraiment répondu.
*
Pourquoi
n'avais-je rien su dire? Maintenant mes mots viennent.
*
Pendant
qu'elle est loin et que je me languis d'elle, les mots pour elle viennent, ça
me vient comme quand vient le sperme, je dois lui dire, tu comprends. Quand je
me suis répandu en elle, j'ai tellement crié que je suis resté deux jours sans
voix.
*
Feuillet.
C'est un feuillet, parce que détachable; à utiliser comme incise dans la phrase
du discours, la toujours même phrase du toujours même discours.
*
Il prend
la décision de commencer un gros volume sur l'enfance (puisque de l'enfance il
ne sait plus rien, - dei bambini non si sa niente). Il s'inventera une
enfance, et inventant il se ressouviendra. Des odeurs des gestes des grimaces;
parfois il était si sale qu'il avait de petites croûtes dans les poils du
pubis.
*
Il
ferait le catalogue des noms (des prénoms) - et noterait, comme Perec, une
phrase par prénom: je me souviens de Wolfgang dont la grand-mère était
chaisière à l'église paroissiale de S. Joseph. Je me souviens du mot grappiller dans « Le Mur » de Sartre, - verbe que
d'ailleurs il reprend dans « La Nausée », grappiller le sexe, ça me choquait.
Nous ne faisons que nous entregloser; moi, c'est les mots qui me font aller aux
choses. Les souvenirs me viennent par les mots. Quand je lis dans un livre, je
m'interromps soudain, parce qu'un souvenir déferle, - à cause d'un mot, à cause
d'un nom. Wolfgang. Je vis dans les mots, pas dans un monde. Monde de mots.
*
Je ne
vis pas, je note.
*
Cent
fois, deux cents fois je passe près du bassin de la fontaine. Il n'y a plus de
poissons. Pendant des années il y avait eu des poissons. Même en hiver. L'eau
gelait. Sous la croûte de la glace les poissons circulaient. Un jour, passant
près de la fontaine, un haïku me vint dans la cervelle. Je le notai. Le bassin
a quelque deux cents ans. Je hais les haïkus. Le bassin fait partie du décor.
Je pourrais passer mon temps à évoquer patiemment le décor. La coulisse. Sur la
scène du théâtre les coulisses coulissent, deux minutes, changement du décor.
Du boudoir à la forêt vierge, de la caverne d'Ali Baba à la mansarde du
célibataire. Ces changements m'inquiètent. Le bassin a deux cents ans. N'a pas
bougé. N'a pas coulissé. Je tomberais. Ils alarmeraient les brancardiers, qui
sentent la sueur et le cuir, odeurs de vie. Je ne tombe pas.
*
Je suis
assis. Je fais un feuillet.
*
Il
disait: je grappillais distraitement son sexe sous les couvertures (« La
Nausée »). Moments semblables. Dizaines. Mais sans le verbe grappiller.
Jamais ne n'emploierais un tel verbe. Il ne faut pas se laisser avoir par les
mots. Ce mot n'est pas dans mon lexique. J'ai d'autres mots. J'ai aussi des
mots qui n'appartiennent pas au lexique. Je ferai des mots pour dire mes doigts
dans sa toison pubienne.
*
Comment
m'y prendre: mon livre de la cinquantaine est écrit, centaines de feuillets.
*
Je vais
vivre encore un peu, et y mettre un peu d'ordre (et de lisibilité). Je vais
laisser les mots aller et venir. Dire con. Dire contre.
*
Quand
j'ai mes doigts dans sa toison, ce n'est pas par distraction.
*
C'est
mes glanures du jour. Les mots qui viennent, sont soudain là, à mes pieds; ce
ne sont pas des mots que je trouve parce que j'aurais cherché. Les glanures,
c'est ce qui reste quand la moisson est faite; je ne suis pas moissonneur. Je
glane juste quelques brins avant la mauvaise saison. Je ne fauche pas, je
ramasse.
*
Mes
perceptions sont très simples, frustes. Inutile de les orner. Une azalée rouge
qui est là, depuis trois jours, à réjouir mon oeil, c'est assez. C'est une
joie. Comme BWV 1052 par Gould.
*
Choses
que je connais, reconnais. Comme l'odeur de mon amante quand elle reviendra me
trouver. Sa bouche. Sa vulve. Elle sera belle, nue. Perceptions simples: sa
simple nudité. Sa fragilité. Et mon regard qui la fera frissonner d'aise. Et sa
respiration saccadée quand penché sur elle, je déplierai les pétales de sa
fleur de chair, retardant le plus loin possible le moment où mes lèvres
l'effleureront. Eclose, la fleur. Un si joli mot: éclose. Mon amante et sa rose
éclose, des mots doux et mous comme sa chair.
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vendredi 16 mars 2018
LE CAHIER DE NAROKI - vingt-sixième livraison
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