dimanche 26 juillet 2015

LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS

dessin Vincent Crépin



chapitre VI

1.
Dans un des plus anciens catalogues de la bibliothèque d’Éphèse, vers 275 av. l’ère chrétienne, figurent plusieurs ouvrages de Stochios de Smyrne : un traité astronomique, une étude sur les plantes médicinales caucasiennes, un recueil thérapeutique sur les maladies de la peau – ils ont tous disparu, il n’en reste que quelques traces de citations dans des compilations arabes datant des IXe et Xe siècles

2.
Avant l’édition alexandrine, en 135 av. l’ère chrétienne, les deux livres de Stochios de Smyrne sur le sexe de l’homme et sur le sexe de la femme n’avaient jamais été réunis en un seul volume  

3.
Stochios n’a sans doute jamais quitté Smyrne où il est né vers 310 et mort en 259 av. l’ère chrétienne ; par une brève allusion biographique dans Diogène Laërce (qui classe Stochios parmi les médecins-guérisseurs) on sait qu’il a eu pendant quelques années une liaison assez orageuse avec la femme d’un haut fonctionnaire damascène en poste à Smyrne

4.
Quand dans le récit de voyage, je lis : « Pendant tout le trajet à travers Villefranche, de feu rouge en feu rouge, elle dormait… » — ça m’émeut aux larmes

5.
Stochios de Smyrne écrit 134 Apostilles sur le sexe de l’homme. Stochios de Smyrne écrit 619 Apostilles sur le sexe de la femme

6.
Stochios de Smyrne a mis dix mois à écrire ses Apostilles sur le sexe de l’homme. Stochios de Smyrne a mis deux ans à écrire ses Apostilles sur le sexe de la femme

7.
Stochios de Smyrne écrit, dans la 22e Apostille sur le sexe de la femme : « Sur le sexe de la femme il y a tellement plus de choses à dire que sur le sexe de l’homme ». Stochios de Smyrne, dans la 109e Apostille sur le sexe de l’homme écrit : « Le sexe de l’homme est simple & laid, le sexe de la femme est compliqué & beau »

8.
Le livre « A l’étale » de François Angot, mort en 2010 à cinquante-deux ans, je l’ai acheté un jour, un horrible jour de l’horrible mois de juillet de l’horrible année 2014 dans l’horrible ville de Sète, le livre avait paru deux mois auparavant chez Al Manar, c’est une élégie d’amour de 559 pages — tout en haut de la page trente-cinq, juste six mots, rien d’autre sur la blanche page : tu sais que je t’aime

9.
Mots bêtes & amers que je lui dis, sachant bien que cela ne va pas l’émouvoir, mais parfois j’ai des crises de languissement d’elle quand des éclairs de souvenirs me foudroient, et elle est si loin et tellement hors de portée, pendant toute la traversée de Villefranche, de feu rouge en feu rouge, elle dormait, à côté de moi, la joue sur le bleu coussin…

10.
Stochios de Smyrne a publié en 249 avant l’ère chrétienne à Alexandrie un ouvrage de soixante six strophes de neuf vers, réparties par 33 et 33 dans deux livres. Le premier livre, ce sont des célébrations obsessionnelles, le deuxième des lamentations obsessionnelles. Dans chaque strophe il évoque, dans des tournures aussi hardies que sophistiquées, la beauté de son aimée. Et chaque strophe se termine par un vers qui évoque l’exquise splendeur de son sexe

La liasse des dix mille fragments
Le Murmure du monde, vol. VI  - inédit 


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mardi 21 juillet 2015

mestiere di poeta

dessin: Ekşioğlu Gürbüz Doğan




chemin faisant chemin se fait
et s'équivoque à chaque pas

comme ces lignes que je trace
pour mieux aller vers l’immobilité

me barde & m’arme de syllabes
pour aller invincible au coma


Ruine de parole, éditions phi, 1993 


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lundi 20 juillet 2015

abîme




depuis le jour où dans la savane kenyane
nous nous sommes mis sur deux pattes

pour voir par-dessus des épis
et des arbustes jusqu’à l’horizon

depuis le jour où nous avons regardé
les nuages la lune les étoiles

nous ne savions pas
et n’avons toujours pas envie de savoir

que le ciel est un terrifiant abîme

Neuvains, vol. 4

dimanche 19 juillet 2015

rimeries

Rosenwald Book of Hours, 1533


dans leurs strophes ils vous balancent
de l’azur, des élixirs et des orées

entassent leurs métaphores génitives
mallarméennes & chariennes singeries

quand il pleut ils ne disent pas : il pleut
ça ne rimerait pas dans leur rimerie

à ces poètes qui distillent de rares liqueurs
je préfère les gratte-papier qui me servent

de l’eau plate dans un verre à moutarde



Neuvains, vol. 4 




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