jeudi 29 septembre 2016

nouveaux neuvains, vol. 5

Brancusi, Le Baiser, version oblitérée




puis elle m’envoie Gaius
messager sur son merdique mulet

qui trotte sur trois pattes
et une oreille qui pendouille

le messager frappe à ma porte
et sort de sa besace

une tablette avec le message
que ma Clodia me mande :

arrête de m’appeler « ma Clodia »


NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5

inédit




mercredi 28 septembre 2016

et quelques autres consolations, chap. 19-20

Breughel, Hiver



19.

faut être belge pour avoir le surréaliste culot de baptiser une gazette Ultima Hora moi de mon côté vais persévérer dans mes occupations menuisières construire pour l’éternité des petits meubles sur quatre pieds à trois planches étroites joliment poncées & vernies lack-lasur dunkelnussbraun bibliothèques naines à hauteur de mi-cuisse propices aux classements sévères pour la sélection de quelques lectures ultimes & ultimatives mais ce sont des élans artisanalement eschatologiques sans cesse contrariés par des soucis domestiques incontournables après les martèlements et les ponçages c’est la confection d’une soupe dite verte aux poireaux courgettes cresson persil oseille oignon patate pour les jours à venir se nourrir se chauffer arriver sain & sauf à la dernière heure



20.

dehors la désolance d’hiver monarchie du monochrome seuls remous dans la paralysie des ramures une solitaire criarde pie neurasthéniquement affairée pour on ne sait quelles affaires noir & blanc sans but & sans conséquence elle vole balourde veule et veuve et sans talent on croit toujours que décoller elle va pas y arriver je hais la pie elle est chafouinement autistique & intrinsèquement mauvaise si elle était humaine elle serait tchékiste enverrait cynique trépasser dans le permafrost tous les merles du canton pour dissidence artistique merles d’hiver merles d’été cela fait des mois que je n’ai plus vu de merle le seul merle que je vois encore est perché transi sur une haute branche dans une sale saison de l’année 1565 au coin d’un tableau breughélien mais ce n’est peut-être qu’un corbeau au moins ce n’est pas une pie certainement pas puisque Breughel encore plus que moi avait la haine des pies



Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
 et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008


mardi 27 septembre 2016

Proseries, chap. 91

Pierre Aleschinski - Taste of the Abyss



91.

Quand, au gré des variations d’humeur, je me sens soudain en danger d’amenuisement sinon de liquéfaction, j’attrape vite, comme on attraperait une seringue de survie, le « Comment c’est », et je lis à haute voix, une page ou deux, et lis deux fois, parfois trois, parce qu’il faut rythmer, reconstituer la syntaxe, placer mentalement virtuellement des virgules, au moins les virgules, parfois les points, parfois les points de suspension, mais c’est risqué, en général je ne risque pas, j’ai pas assez de reins pour ça, qui suis-je, Sam, pour décider de tes points de suspension, si cela se passe au milieu d’une phrase, ça fait brèche, fissure, une espèce d’abîme, soudain, au milieu d’une phrase, faille fatale & mortifère, comme dans un glacier de Patagonie, on n’en revient pas, et pourtant la phrase avait peut-être commencé de façon anodine, il était question de balais et de torchons dans un sombre débarras, ou tout juste d’une araignée qu’il fallait écraser dans l’escalier de la cave, mais si cela fait, mine de rien, allusion au destin de l’âme, ou même seulement du cœur, le fragile cœur, le cœur brusquement désaimé, tu n’en finis pas de tomber, tu t’amenuises, te liquéfies, la question du comment c’est ne se pose plus.


LE MURMURE DU MONDE, vol. VIII
inédit




lundi 26 septembre 2016

Proseries, chap. 90

dessin Pierre Aleschinski




90.

Alors qu’invisible gazouille avec insistance & nerveusement un volatile quelque part et qu’un ciel d’automne splendide resplendit splendidement derrière la vitre passablement sale de la lucarne sous laquelle je suis assis devant le large bureau de mon grenier et que je rêve & renifle nu sous mon peignoir dans le matin nouveau, pensant vaguement et cherchant expression à mes pensées que tout cela, le ciel et le monde et le grenier et le matin nouveau, que tout cela est tellement improbable et magnifique et providentiel et immérité, gratuitement offert par le borgne destin qui ferme systématiquement un œil, le mauvais, faisant mine de m’épargner et d’ouvrir devant moi un champ de vacuité pour mon chant de vanité, syllaber vainement des choses vaines mais vitales, et je me mets en devoir de tracer un habile pointillé à la fois élémentaire & complexe, comme esquisse d’un plan d’architecture pour la palissade de protection que je projette afin de définir mon aire de respir, mon domaine de survie, mon quartier d’existence où pour un certain / incertain nombre de jours, peut-être semaines, peut-être mois, peut-être années, sera située ma bulle virtuelle & vivace, dans laquelle je… dans laquelle je… dans laquelle je…


inédit



dimanche 25 septembre 2016

Autre liasse, chap. 10

dessin Pierre Aleschinski




chapitre 10

1.
Sur mes tables de travail il y a une quinzaine de récipients de toute sorte avec des crayons et stylos couleurs, plus de 150 crayons, mais il y a toujours une couleur qui manque, j’aurais eu besoin d’un crayon mauve, qui est celui avec lequel je marque les anaphores. Ce matin je devais souligner un passage d’anaphores dans « L’Apocryphe » de Pinget. Mais pas de crayon mauve, et si je remplace cette couleur-là par une autre, ça fait des confusions et des zizanies. Que vais-je devenir ?

2.
Si je suis tellement vif & vivant, c’est qu’elle me tient, me maintient tout le temps dans son étranglement. Suffocation du désamour.

3.
On nous explique que Torganov, dans ses « Feuillets d’hiver », voulait dire tout le temps et à chaque page, comme dans des sortes de leitmotive non-dits, que d’aller si mal le faisait aller bien.

4.
En 1887, les feuillets n’avaient pas encore de lignes, fallait régler, comme faisait Jules Renard, régler son papier (note-t-il sur la première page de son Journal), comme faisaient les copistes gothiques.

Et en 1857, dans « Madame Bovary » : Le soir, à l’étude, il tira ses bouts de manche de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, régla soigneusement son papier.

Régler — scrupule de la définition dans « Trésor de la langue française » : Tracer à l’aide d’une règle, ou d’un appareil qui en tient lieu, des lignes droites parallèles sur une surface unie, le plus souvent sur du papier.

5.
On estime que le désamour supprime (brûle, consume à part) à peu près 80% de l’oxygène qu’on respire pour vivre. — Leonid Krankov, « Etudes cliniques sur les sentiments de base », IVe chapitre, p. 378, Saint-Pétersbourg, 1909

6.
Comment, pendant les mouvements paroxystiques de la pénétration, je pénétrais aussi, du doigt, sa bouche, la toute chaude cavité buccale, sur la langue, sous la langue, à l’intérieur des lèvres, et comment elle habillait tout mon doigt d’une abondance de salive.

7.
Dans un grand livre il y a tous les livres. Marc Aurèle, à la fois éclectique & universel, dans le VIIe livre de ses « Pensées pour moi-même », on rencontre tour à tour Qohelet, Omar Khayyam, Confucius, Spinoza, Kant, Jésus, Socrate, Bouddha, Epicure, Montaigne.

8.
Pubertätstagebuch hätte man führen sollen… écrit Peter Rühmkorf dans son journal en 1971. Mes treize ans mes quatorze ans mes quinze ans mes seize ans mes dix-sept ans mes dix-huit ans mes dix-neuf ans mes vingt ans : j’ai rempli de notes pubertaires quelques dizaines d’épais cahiers, à raison de plusieurs pages par jour, pendant toute mon adolescence, milliers de pages. Tout a brûlé.

9.
Le matin du 11 mai 1797, Goethe fait de la dissection de limaces. Le matin du 12 mai, celle de vers de terre (Regenwürmer anatomiert…).

10.
La Lesbia des poèmes de Catulle s’appelait en réalité Clodia — mais qu’est-ce que la réalité quand il est question d’écriture ?

Catullus is my master, écrit James Laughlin (1914-1997), et aussi, dans son poème « Technical Notes » : Catullus could rub words so hard / together their friction burned a / heat that warms // us now 2000 years away…



AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII

inédit



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samedi 24 septembre 2016

Proseries, chap. 89

Enrico Mazzanti, Pinochhio, 1883




89.

On est tout le temps, faut-il encore y insister, faut-il encore le ressasser, on est tout le temps, à cause de la mort, dans la métaphysique la plus épaisse, la plus grossière, mais on prend aussi, inexplicablement, une espèce de malicieux plaisir à exécuter des gestes futiles & insouciants, genre épousseter la surface de la table de travail  avec un soufflet, au lieu de simplement souffler soi-même, arrondissant la bouche, rejetant l’air brusquement fortement, deux trois fois, quand j’ai communiqué ça à Michaux, il s’est cordialement fendu d’un hihihaha tout à fait belge, et pourtant la mort existe, je l’ai rencontrée, c’était en 1883, quand les quatre lièvres noirs, marchant sur leurs pattes arrière, et les oreilles dressées, pénétrèrent dans la chambre, portant sur les épaules un merdique brancard avec le cercueil taillé juste à ma mesure de Pinocchio, métaphysique si épaisse, dans l’air si aérien, sous le ciel si cielleux, et transparent jusqu’à l’infini, faut d’urgence souffler la poussière, nettoyer, faire table rase, remballer les affaires, toutes les affaires, et le bagage, tout le bagage aussitôt s’évapore, et le futile soufflet n’en finit pas de souffler.


inédit
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et quelques autres consolations, chap. 16-18

photo Lambert Schlechter -  album Piccole cose, mars 2014



16.

que ‘la neige est aussi un peu bleue’  dessin au feutre bleu que ma fille a fait à cinq ans j’ai noté en marge sa déclaration de Schnéi ass jo och e bësse blo c’était le vingt-cinq février mil neuf cent soixante dix-neuf en noir juste le chapeau haut de forme et la large lavallière au-dessus de la bouche souriante en guise de nez seule couleur une sorte de figue rouge vif Bernadette avait vu à Massabielle la dame en robe blanche avec une ceinture bleue et sur chaque pied une rose d’un jaune éclatant des foules étaient venues du Bigorre et du Béarn pour voir ça mais ils ne voyaient rien Boileau en sa douzième satire parle de contes bleus de frivoles sornettes rupture cordiale arrêt cardiaque et autres fantasmes interruptifs aussi longtemps que ce ne sont que des mots le danger bien que dramatiquement palpable reste ludique


17.

c’était toujours comme ça on ne savait jamais ce qu’il y aurait sur la feuille avant qu’il y eut quelque chose sur la feuille petites marques sur le tain qui font bifurquer les images reflétées des grattages presque imperceptibles mais qui font passer le regard à travers le miroir et font deviner paysages abîmes peut-être miniatures de paradis avec enchevêtrements de guirlandes fleuries dessinées en marge bleu rouge et vert au plus profond du sommeil j’émerge dans mon Chili natal et on me somme de décliner mes noms anciens tour à tour désuètement araucans napolitains finlandais mais ils ne sauront jamais quel est le bon côté du miroir adagio cantabile chant de mort de vie flûte traversière en fa majeur harpe andine nous psalmodie la fin du monde



18.

lors du bombardement en faisceau de photons il y a en a quelques-uns qui passent mais la plupart ricochent et s’abîment j’ai longtemps étudié la théorie de la lumière sans aboutir sans vraiment comprendre mais les zones d’ombre sont éloquentes cela me convient me console toujours j’ai recherché dans mes études la consolation et donc la pénombre là rien ne saurait être drôle humoristique ou seulement divertissant mots imprévus qui font trébucher if I were hungry enough I would eat a rat if I were angry enough I would kill a cloud tu t’ébroues puis continues quelques photons passent par la griffure et vont colorier l’un ou l’autre secteur de l’abîme arrive en pleine nuit sur l’écran une sms de détresse déclaration d’amour à laquelle on ne peut pas répondre c’est déjà le silence c’est encore le silence tisserande appelle bouvier




Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008




jeudi 22 septembre 2016

et quelques autres consolations, chap. 13-15

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014



13.

s’ils me mettent en demeure c’est pour me foutre dehors ils n’aiment pas les pleurnichards quand c’est trop souvent la pleine lune je prends une demi-gramme de zoldipem poudre blanche compressée minuscules bâtonnets que j’avale à trois heures du matin avec un peu d’évian plonge plus loin que les nappes phréatiques ne plus rien savoir mourir un peu en douce amarré à mon polochon de toujours naviguer dans les souterraines cavernes puis mes lèvres se posent sur le magnolia qui entrouvre ses muqueuses luisantes et je lèche tous les sucs qui suintent salés sucrés ma langue pénètre le plus loin possible du machst mir solche Lust elle murmure fredonne quand ses tressaillements commencent à se calmer elle dit viens je veux ton sperme c’est des syllabes qu’elle n’a jamais dites comme ça et maintenant elle les dit jamais bite n’a été mieux mise en demeure



14.

quant à l’âme c’est un souci et un mutisme ein Verstummen elle s’amenuise se rapetisse les mots de l’empereur Hadrien sonnent dans les oreilles il dit ça à notre place mots gravés sur une plaque de marbre dans le château des Anges au bord du Tibre animula vagula blandula petite âme vagabonde & séduisante sentant le vertige de l’abîme il ne sait quoi dire alors il parle de l’âme pallidula rigida nudula livide rigide pouilleusement nue il essayera de se comparer à la luciole laide & chétive qui tente de prendre son envol pour une autre galaxie mais il fait trop noir trop froid l’étincelle aussitôt s’éteint la minuscule carcasse de l’insecte se décompose parmi les grises farines interstellaires un empereur et un vers luisant passent furtivement sur la page celui qui écrit trace péniblement quelques signes nec ut soles dabis jocos fini le temps des facéties



15.


les quelques rares fois que j’ai rencontré Thomas Bernhard je me souviens de lui souriant même un peu narquois il est mort en février 1989 deux semaines avant ma femme de temps en temps je rêve de lui et je le vois souriant & amical je rêve qu’il vient me voir je rêve qu’il n’est pas mort je rêve qu’il est content de venir me trouver il est chez moi en sécurité rien chez moi ne va lui arriver il est malade depuis si longtemps mais chez moi il y a comme une rémission il fait chaud chez moi les murs de ma maison sont épais aucune chienne de camarde autrichienne ne passera à travers mes murs nous évoquons un ancien souvenir du temps où il n’était pas encore célèbre ni haï ni adulé j’avais traduit sa nouvelle Zwei Erzieher et pendant ma lecture dans l’Orangerie j’étais assis à côté de lui lisant ma traduction potachement heureux


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008




et quelques autres consolations, chap. 10-12

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014


10.

apte ni à la grâce ni à la pesanteur je n’ai jamais touché la terre que par furtive tangence fredonnant fados fatigués mal fagotés grésillement dans les synapses ça va très mal se terminer au carrefour de ces mitoyennetés louches et miteuses ma farlouse préférée est partie en migration dans les bambous d’un Nil nubien mais la fée d’hiver a mal veillé sur moi frequently asked questions envie de lâcher j’ai fait le tour des questions ça déborde débordamment toutes les réponses se valent et aucune ne vaut je tournicote dans le tournis d’un soliloque de pacotille faut peut-être continuer à croire que la carotide est solide je vais sans doute me retirer dans une Belgique idéale & apocryphe imaginée par Bachelin au détour d’un syntagme turquoisement tourmenté puis décide malgré tout ça lâchement de ne pas encore lâcher




11.

se rameutent les lapideurs brandissent & vocifèrent mais il y a espoir que des murs & des lois protégeront les prisonniers tendreté d’un songe d’abri à considérer l’art des chenilles lieuses qui lient avec des fils de soie plusieurs feuilles à en former un paquet au centre duquel est la loge du petit ermite hors de portée des porteurs de piques et gourdins les hurlements s’évanouissent au loin le cœur peu à peu se remet à battre calmement on pense au sang qui circule par ses canaux familiers le sang fait son vital travail invisiblement le sang ne viendra pas à la surface le sang transite par pulsations du centre aux périphéries et revient & repart quand ça va très mal j’évoque pour l’image consolante le travail des chenilles lieuses



12.


en pleine miraculation je suis à chaque instant et j’en suis conscient tout ce que je vois tout ce que je vis mon regard anticipatif fonctionne par rétrovision pour focaliser sur un présent miraculeux la notion même de miracle j’ai dû la dérober aux crédules cagots et la recycler dans la petite tragédie portative que je me trimbale en bandoulière avec mes deux bananes et mes trois mandarines d’un étage à l’autre d’un immeuble en sursis bouts des doigts fripés  comme si je venais de traverser l’Atlantique à la nage échappant ne sais comment à une catastrophe mais abîmé nicht unversehrt une dégradation due peut-être à l’âge car maintenant il y a tout le temps cette question-là je me guette question de la carcasse et toute la tuyauterie membranes glandules fibrilles comment savoir à quel endroit les allégoriques plombs vont sauter


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008



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mercredi 21 septembre 2016

et quelques autres consolations, chap. 7-9

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014


7.

Kant à la fin faisait des crises aiguës vagissait de misère & de chagrin mein Glaukom mein Glaukom  ingurgitait d’immenses quantités de sucre pensait que pleurer le soulagerait mais aucune larme ne vient il pleure abondamment mais sans larmes se met à prier quémande un agnostique miracle Tränenwunder nous autres ne prions pas n’avons jamais prié nous autres prenons à témoin quelques contemporains de passage et leur jouons des sketches où il est question de subterfuges pour échapper au cauchemar de Koenigsberg c’est dans des petites salles sans chauffage où les strapontins grincent sur leurs vis mal vissées ce n’est pas le confort mais une certaine sécurité une fois les lampadaires de la salle shuntés et les feux de la rampe branchés on s’abîme dans le jeu des répliques

8.

polémique des mauvaises herbes faut pas s’en mêler guerre d’arguments chétifs & exsangues ça ne va en rien m’avancer le méchant baiser de l’araignée m’a fait à la cheville une cloque purulente grosse & ronde comme un œil d’autruche c’est peut-être ça qui contre toute attente va être fatal alors qu’il y avait tant d’autres bons prétextes & raisons sincères de fatalité mais je n’ai jamais été bon combinard les contrariétés déferlent dru puis j’attrape le regard en biais émouvant un peu goguenard de Boris Schreiber à l’instant où il achève le typoscript de l’Excavatrice j’aurais aimé de notre vivant le rencontrer peut-être juste avant le déraillement du Metz-Dijon en rase campagne dans l’inouïe incongruité des aubépines en fleur lambeaux filandreux de cervelle parmi les orties

9.

mot allemand schluchzen imprononçable intraduisible dit cela une fois pour toutes sans le détour d’exégèses merdiques ici n’y a point de moquage c’est dans des sons de morve & de chialerie langage dissous dans les lymphes puis un troglodyte espiègle par une brèche dans la syntaxe atterrit sur le rebord de la fenêtre où finissent de flétrir dans les craquelures d’un bac gelé des chrysanthèmes avec leur secrète débauche de graines il picore de son petit bec aiguilliforme assidûment réfute les encyclopédistes qui l’ont classé insectivore dérèglement du cours des choses annulation sans gloire des prophéties & des légendes bienvenue à l’ornithologie si elle arrive à consoler pendant quelques instants c’est une science dont on ne fera le tour ni ce soir ni demain matin je te salue roitelet


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008



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et quelques autres consolations, chap. 4-6

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014



4.

naviguent banquises princièrement imperceptible tangage fantasme du dernier périple mais les banquises on le sait vont toujours vers le sud vers la fonte l’égarement à la fin il n’y a plus que de l’eau glacée puis tiède puis chaude propice aux rapaces & prédateurs pour la noyade il y a donc des dilemmes tergiversons ça peut servir et vogue la chaloupe louvoie la felouque tu vas te prendre dans le fouillis des roseaux caché camouflé il y aura un nid de joncs & de plumes quel bonheur pas vu pas pris après la menace glaciale voici la planque des tropiques amitié de l’ibis & du caïman oui j’irai oui tu iras c’est un songe togolais bel abri sous des solives mordorées depuis l’enfance on a toujours fait ça construire des cabanes bonne paille


5.

enracinement privilège des plantes n’avoir pas de chemin pas non plus de lexique la fougère & l’acacia n’ont rien à expliquer la rose est muette souverainement ohn warum seule mystique envisageable on trébuche dans la caillasse par monts & par vaux ascension dévalement puis campement dans la plaine yourte pendant quelques jours avant la tourmente de sable de neige puis il faut encore décamper mansarde au trente-sixième dans la trente-septième avenue ou gîte illusoire sous un grand tilleul puis chambre neuf hôtel de la Poste à Clamecy où clamecer à l’ombre d’une bonne fougère pour la narquoiserie des mots mon vieux tilleul depuis un siècle fait tranquillement son voyage d’hiver à nada


6.


ibis revient à la charge harcèlement tape avec son bec contre la vitre au risque de la briser et faire déferler de torrides chaleurs dans la glacière qui me sert de mansarde drôle d’oiseau presque omniscient à ceci près qu’il ne sait pas qu’il porte un nom de langue morte ça lui donne cette terrifiante innocence je me force à faire semblant de ne pas comprendre ce qu’il veut me signifier par son tapage le mystère des animaux c’est encore & toujours qu’eux ne savent rien de leur mystère ils évoluent avec souveraine désinvolture nous vaquons à nos affaires eux vaquent à l’existence nous ne sommes que tragiques eux sont sublimes même les plus insignifiants comme ce minuscule gloméris cloporte détritivore à soixante-quatre pattes qui en danger de mort se roule en boule et se fait nonchalamment picorer par un volatile granivore


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008




mardi 20 septembre 2016

et quelques autres consolations, chap.1-3

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014




1.

aussi fallait-il une grosse vitaminerie qui est une réserve & une provision assurer les jours qui viennent doivent encore venir assurance pour des jours non encore assurés et même avant le souci des jours c’est le souci des heures il faut assurer les heures de la nuit afin que le jour et d’abord le petit jour soit assuré et c’est ainsi que l’on compte avancer d’instant en instant de minute en minute assurer heure après heure après la construction aveugle & inconsciente de la nuit construire le jour les yeux ouverts la confiance va-t-elle s’installer rien n’est moins sûr d’heure en heure de jour en jour la question du aller quelque part se pose comme on pose pied devant pied pour tracer un chemin dans les blancs d’une géographie sans nom


2.

messages épars mélodies éparpillées partitions à déchiffrer ce sont des airs anciens arpèges familiers réminiscences qui déchirent le diaphragme éclatements inopinés mélodie cent fois entendue pendant trois ou quatre décennies Ich habe genug syllabes qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre aller au fond du tourbillon comme font les noyés abandonner lâcher prise s’engloutir tourner vertigineusement dans les tours du dernier kaléidoscope mitraille des images précipité du film de la vie cascade de flashs éblouissants avant le black puis rideau silence et aucune claque dans la salle c’était juste pour faire peur tous les abonnés sont absents et quand les sonneries sonnent assourdissantes tu bascules dans la trappe Flüsterkasten cage à murmures


3.


orphelin horizontal manchot éclopé à la merci pour le moment de promesses consignées dans un idiome archaïque rendez-vous est pris avec un traducteur mais aucune date n’est dite l’heure & le jour sont notés dans une langue morte rien ne bouge et si quelque chose doit se fomenter c’est dans les plis d’un parchemin encres de suie & de sang palimpsestes dupliqués puis liquidés sur les étals de la braderie de Stavelot larges macules de sperme desséché ce qui doit forcément fatalement arriver est depuis longtemps écrit mais les formules chimiques & magiques sont aléatoires ou alexandrines selon les traductions les millénaires s’entre-mêlent les siècles se chevauchent un enfant ouvre de grands yeux et si ça tombe dans ton regard tu t’effondres attendri


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions estuaires, 2008






dimanche 18 septembre 2016

ogni tanto scrivo in inglese...

dessin Antonio Saura




Tumblin’ round / mumblin’ words / sobbin’ tears / ugly guy / snuffin’ & snortin’ / totterin’ doter / chatterin’ begger / babblin’ & couphin’ / futile fool / gosh gosh Wallander orphan oh gosh / gosh gosh Davy Fosta Wallers sold out gosh my gosh / loosin’ my brain / losin’ my dick oh gosh / gropin’ in the dark / fumblin’ for a grip / thanx for the ride fellers whott a journey / o bella bellezza o storia sbagliata / good for nothin’ / comin’ to the point & droppin’ the final dot


LE VRAC DES DIX MILLE CHOSES
Le Murmure du monde / 6
inédit



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samedi 17 septembre 2016

le pont des trépassés

peinture Antonio Saura





Par le pont mousseux passent les trépassés, comme sur une vieille image, traînant la savate, parce que le pont mousseux s’appelle le pont des trépassés, c’est sur le panneau, ils ont l’air si tristes parce qu’ils n’ont plus de mémoire, ils ont laissé la mémoire derrière eux, toute leur vie était un enjeu de mémoire et il n’y a plus de vie, plus d’enjeu, plus de mémoire, juste ce pont mousseux, qui depuis toujours s’appelle le pont des trépassés, et tu les regardes traîner la savate, tu es planté là, avec toute ta mémoire, avec tout l’amoncellement de tes souvenirs, Anapurna de réminiscences, tu les vois cheminer, trépassés qui passent, interminablement & depuis toujours, le pont mousseux est vide et désert, c’est dans ta tête, il y en a parmi eux que tu connais, tu cries je vous connais je vous connais.


LE VRAC DES DIX MILLE CHOSES
Le Murmure du monde / 6
à paraître


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peinture de Leon Spillaert




chapitre 9

1.
Le minuscule insecte d’un millimètre et demi qui trotte sur mon feuillet a une force physique inouïe ; pour pouvoir continuer à travailler sans le mettre en danger, je lui souffle dessus à pleins poumons, il s’agrippe et reste en place, puis, l’ouragan étant passé, il se remet tranquillement à cheminer. Pour lui la surface bien lisse de mon feuillet doit être un vaste territoire accidenté, plein de crevasses et de ravins.

Il ne sait rien de moi et moi je ne sais pas ce qui se passe dans sa caboche.

Nous habitons la même auberge. La même galaxie.

2.
VIE D’UN POÈTE AU XXe SIÈCLE — Jan Zahradníček est né le 17 janvier 1905 à Mastnik en Bohême. De 1940 à 1948 il dirige la revue « Akord », d’orientation catholique. Entre 1930 et 1948 il publie sept recueils de poésie. En 1951 il est arrêté par la police secrète du régime communiste et, dans un procès truqué, condamné à 13 ans de prison pour complot contre l’Etat et haute trahison. Sa traduction de la « Divine Comédie » ne peut pas paraître sous son nom. En 1956 il est libéré après la mort accidentelle de ses deux filles, intoxiquées par des champignons. Après quinze jours il est ramené à la prison. Quatre ans plus tard, en 1960, à cause de sa santé très précaire, il est amnistié. Après trois mois de liberté il meurt, le 7 octobre 1960.
En 2002, Peter Král traduit et publie deux de ses poèmes dans « Anthologie de la poésie tchèque contemporaine », collection Poésie/Gallimard.

3.
Pour ce qui est de la guerre, le général américain Curtis Le May avait tout compris : If you kill enough of them, they stop fighting.

4.
Cette bribe de valse d’Eleni Karaindrou, infiniment mélancolique, c’est une guirlande à suspendre dans le crépuscule d’été pour que la luciole de l’âme vienne s’y prélasser quelques instants avant de s’éteindre. (pour Astrid)

5.
La délégation du département de la justice vient au palais demander des instructions à l’empereur, à propos de ce poète insolent et lascif. Auguste est à sa fenêtre, tout songeur, à contempler dans le jardin le rhinocéros impérial se vautrer dans la mare fangeuse. L’empereur reste muet, mais sans se retourner fait un geste énervé avec le bras. Plus tard dans la journée, au département de la justice, on interprète ce geste comme signifiant : Hors de ma vue !

Ovide est exilé pour le reste de sa vie dans la sinistre & barbare bourgade de Tomi au bord de la Mer noire.

6.
Pour ce qui était du Vietnam, le général américain Curtis Le May avait tout prévu : We’re going to bomb them back to the stone age (dans son autobiographie publiée en 1965).

7.
Ich bin in einer kurzgeschlossenen Verkabelung mit ihr, sagte er mir habe er gesagt.

8.
Désormais il n’y aura plus ces énervantes fines paillettes de cendres de tabac sur ma table de travail : je viens d’acheter un petit soufllet qui souffle souffle.

Faudra examiner si cela fonctionne aussi pour les courageuses minuscules bestioles.

9.
Quand je redescendis dans mon bureau après ma sieste, Astrid était partie. Sur ma table un billet : Je suis aux prunes. Le soir elle prépara de la compote.

10.


T’ao Ch’ien (365-427), assez tard dans sa vie   ̶  alors que le ciel est froid et longues les nuits et que les oies migrent vers le sud dans la désolation des rafales de vent   ̶  écrit un long poème composé de trente et un distiques intitulé « Elégie pour moi-même ». Dans l’introduction à son triste & funèbre texte, il note : Moi, maître T’ao, j’aurai bientôt à quitter cette auberge de voyageurs et retourner pour toujours dans ma demeure d’origine.


AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit



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