vendredi 24 avril 2015

Pour un nouvelle théologie du feu





Maintenant que j’ai avancé, de façon assez décisive, dans mes connaissances concernant la nature du feu, j’ai acquis du coup aussi des compétences insoupçonnées en matière de théologie  -- et je peux ainsi, avec lapidaire autorité, faire une solennelle déclaration :


Les trois divinités monothéistes, Yahvé, Jésus et Allah, ont, depuis qu’elles existent, par des menaces explicites, destiné un grand nombre d’êtres humains au feu, ils ont appelé ça l’enfer, et ils ont ajouté que cela dure éternellement.


Me référant à mes anciennes & nouvelles connaissances, empiriques autant que métaphysiques, je déclare ici solennellement et irrévocablement que ces trois divinités sont des Dieux de merde.





vendredi 17 avril 2015

Pourquoi le lilas est si lilas

Van der Goes, Adoration, vers1476, détail






Pourquoi le lilas est si lilas


Avril, c’est le temps de la blanche anémone parmi les feuilles mortes de l’automne précédent, elle éclôt en général vers le cinquième jour du mois, cinco de abril, date magique.

Puis le magnolia, le cerisier, le poirier ; le magnolia, cette année, a été cravaché par le gel, deux ou trois jours après l’éclosion, les fleurs ont viré au brun, brûlées par le froid, les pétales se sont amollis, et pendaient pourrissants.

Puis en mai, soudain, le lilas est là, lilas lilas. Allégresse de le nommer : lilas, salut lilas. Senteur d’enfance & d’éternité. Cela va durer quelques jours – et il n’y aura plus de gel. Nous sommes sur le bon versant de la pente.

L’enfance est loin, à jamais hors de portée – et l’éternité ne viendra jamais, c’est une bourde.

Le mot lilas nomme le lilas ; le mot éternité ne nomme rien. Ce n’est pas innocent de mettre ces mots-là sur la page. Il est des phrases qui se font toutes seules ; les mots viennent et se mettent en rang, s’insèrent dans la syntaxe, puis il faut trimbaler ça, la phrase est là, comme ça et pas autrement – et on demande : mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Peut-être que les mots en savent plus que nous ? Le mot « mot » est dans le mot « mort », écrit Marc Le Bot.

Et Bossuet, devant le catafalque de Madame, essayant de dire quelque chose, essayant de trouver des mots, essayant de nommer ça, essayant de comprendre et de faire comprendre, - il ne comprend rien, n’essaye plus de faire comprendre, renonce à trouver un mot, le mot, des mots, Bossuet devant le cadavre de Madame se rabat sur Tertullien et le cite : ça n’a de nom dans aucune langue…

Nous sommes sur le bon versant de la pente, disons comme ça, nous aurons des jours sans gel, le magnolia cravaché n’est plus qu’un mauvais souvenir.

Le lilas lilas fleurit, et les tournesols viennent de germer, ils ont hauteur d’un doigt, vont pousser, chercheront le soleil. Et nous aussi. Chercherons le soleil. Trouverons le soleil. Soleil nous est promis. Nous sommes sur le bon versant de la pente.

Ce-qui-n’a-de-nom-dans-aucune-langue, nous le mettrons à l’abri derrière les fagots d’une jolie rangée de tournesols. Soleil nous protégera.

Celui qui écrit est content & ravi d’avoir le mot lilas, et puis encore quelques autres mots qui disent le monde, le soleil, l’anémone, le merle, le canard, le poirier, le tournesol, imagine seulement un instant que tu n’aies pas soleil, comment ferais-tu pour vivre… Quand j’évoque, invoque le soleil, c’est que ça va bien, le soleil a un nom dans toutes les langues, et il n’y a aucun danger à le prononcer. Et l’inverse est vrai aussi : quand on est hors de danger, on a envie de prononcer soleil, et même de répéter soleil.

Et même la nuit : prononcer soleil, invoquer soleil – et le noir de la nuit n’est plus noir. Elle n’a rien de catastrophique, la nuit. La nuit a sa manière à elle d’héberger le soleil. Comme si elle prenait soin de lui. N’aie pas peur.

Et pendant ce temps-là, pendant la nuit aussi, les tournesols croissent, montent, s’érigent, accomplissent le prodige, le mystère, le miracle : être.

Être. Devenir. Et plus tard, plus loin : disparaître. Et laisser des graines. Et germer. Et devenir, revenir, redevenir. Être de nouveau. Depuis des millions de siècles. Cycle des saisons. Cycle du soleil. Cycle des galaxies. Manège cosmique. Tout tourne, tout va et tout revient. Sauf toi. Tu es. Tu vas – et ne reviens pas.

Et c’est pour ça que le lilas est si lilas.

"Smoky", éditions Le Temps qu'il fait, 2003


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jeudi 16 avril 2015

encore ceci & cela...

Vermeer, Femme endormie, 1657 - détail




en plein tapage du monde
le poème instaure le silence

il t’amène dans une chambre
d’un autre siècle, peinte par Vermeer

il ne se passe rien
sauf un balai posé contre le mur*

tu voulais vivre encore ceci & cela
et te voilà dissous dans le silence

le poème peut tout parce qu’il ne peut rien

 
* Jürgen Becker


Neuvains, vol. IV



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mardi 14 avril 2015

au milieu d'une phrase...





Le livre de Hermann Broch « Der Tod des Vergil » reste toujours sur la même petite table, à côté d’une lampe, il y a aussi un fauteuil, et de temps en temps, une ou deux fois par semaine, je vais m’y asseoir, ouvre le livre, et lis une ou deux pages, à haute voix, parfois le lendemain je reviens, et lis la même page encore une fois, toujours à haute voix, j’habite seul, personne ne me soupçonnera d’être dément, prose incantatoire, elle me porte m’emporte, une seule phrase qui dure plus qu’une page, parfois je ne lis qu’une phrase, et mets la date à la marge, à côté de bien des phrases il y a plusieurs dates, parfois je me dis que je pourrais mourir comme ça, au milieu d’une phrase, plus de voix plus de souffle, chuter à jamais dans l’abîme de la page



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