photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014 |
4.
naviguent
banquises princièrement imperceptible tangage fantasme du dernier périple mais
les banquises on le sait vont toujours vers le sud vers la fonte l’égarement à
la fin il n’y a plus que de l’eau glacée puis tiède puis chaude propice aux
rapaces & prédateurs pour la noyade il y a donc des dilemmes tergiversons
ça peut servir et vogue la chaloupe louvoie la felouque tu vas te prendre dans
le fouillis des roseaux caché camouflé il y aura un nid de joncs & de
plumes quel bonheur pas vu pas pris après la menace glaciale voici la planque
des tropiques amitié de l’ibis & du caïman oui j’irai oui tu iras c’est un
songe togolais bel abri sous des solives mordorées depuis l’enfance on a
toujours fait ça construire des cabanes bonne paille
5.
enracinement
privilège des plantes n’avoir pas de chemin pas non plus de lexique la fougère
& l’acacia n’ont rien à expliquer la rose est muette souverainement ohn
warum seule mystique envisageable on trébuche dans la caillasse par monts
& par vaux ascension dévalement puis campement dans la plaine yourte pendant
quelques jours avant la tourmente de sable de neige puis il faut encore
décamper mansarde au trente-sixième dans la trente-septième avenue ou gîte
illusoire sous un grand tilleul puis chambre neuf hôtel de la Poste à Clamecy
où clamecer à l’ombre d’une bonne fougère pour la narquoiserie des mots mon
vieux tilleul depuis un siècle fait tranquillement son voyage d’hiver à nada
6.
ibis
revient à la charge harcèlement tape avec son bec contre la vitre au risque de
la briser et faire déferler de torrides chaleurs dans la glacière qui me sert
de mansarde drôle d’oiseau presque omniscient à ceci près qu’il ne sait pas
qu’il porte un nom de langue morte ça lui donne cette terrifiante innocence je
me force à faire semblant de ne pas comprendre ce qu’il veut me signifier par
son tapage le mystère des animaux c’est encore & toujours qu’eux ne savent
rien de leur mystère ils évoluent avec souveraine désinvolture nous vaquons à
nos affaires eux vaquent à l’existence nous ne sommes que tragiques eux sont
sublimes même les plus insignifiants comme ce minuscule gloméris cloporte
détritivore à soixante-quatre pattes qui en danger de mort se roule en boule et
se fait nonchalamment picorer par un volatile granivore
Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques
autres consolations
éditions Estuaires, 2008
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