photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014 |
13.
s’ils
me mettent en demeure c’est pour me foutre dehors ils n’aiment pas les
pleurnichards quand c’est trop souvent la pleine lune je prends une demi-gramme
de zoldipem poudre blanche compressée minuscules bâtonnets que j’avale à trois
heures du matin avec un peu d’évian plonge plus loin que les nappes phréatiques
ne plus rien savoir mourir un peu en douce amarré à mon polochon de toujours
naviguer dans les souterraines cavernes puis mes lèvres se posent sur le
magnolia qui entrouvre ses muqueuses luisantes et je lèche tous les sucs qui
suintent salés sucrés ma langue pénètre le plus loin possible du machst mir
solche Lust elle murmure fredonne quand ses tressaillements commencent à se
calmer elle dit viens je veux ton sperme c’est des syllabes qu’elle n’a jamais
dites comme ça et maintenant elle les dit jamais bite n’a été mieux mise en
demeure
14.
quant
à l’âme c’est un souci et un mutisme ein Verstummen elle s’amenuise se
rapetisse les mots de l’empereur Hadrien sonnent dans les oreilles il dit ça à
notre place mots gravés sur une plaque de marbre dans le château des Anges au
bord du Tibre animula vagula blandula petite âme vagabonde &
séduisante sentant le vertige de l’abîme il ne sait quoi dire alors il parle de
l’âme pallidula rigida nudula livide rigide pouilleusement nue il
essayera de se comparer à la luciole laide & chétive qui tente de prendre
son envol pour une autre galaxie mais il fait trop noir trop froid l’étincelle
aussitôt s’éteint la minuscule carcasse de l’insecte se décompose parmi les
grises farines interstellaires un empereur et un vers luisant passent
furtivement sur la page celui qui écrit trace péniblement quelques signes nec
ut soles dabis jocos fini le temps des facéties
15.
les
quelques rares fois que j’ai rencontré Thomas Bernhard je me souviens de lui
souriant même un peu narquois il est mort en février 1989 deux semaines avant
ma femme de temps en temps je rêve de lui et je le vois souriant & amical
je rêve qu’il vient me voir je rêve qu’il n’est pas mort je rêve qu’il est
content de venir me trouver il est chez moi en sécurité rien chez moi ne va lui
arriver il est malade depuis si longtemps mais chez moi il y a comme une
rémission il fait chaud chez moi les murs de ma maison sont épais aucune
chienne de camarde autrichienne ne passera à travers mes murs nous évoquons un
ancien souvenir du temps où il n’était pas encore célèbre ni haï ni adulé
j’avais traduit sa nouvelle Zwei Erzieher et pendant ma lecture dans
l’Orangerie j’étais assis à côté de lui lisant ma traduction potachement heureux
Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques
autres consolations
éditions Estuaires, 2008
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