jeudi 22 septembre 2016

et quelques autres consolations, chap. 13-15

photo Lambert Schlechter - album Piccole cose, mars 2014



13.

s’ils me mettent en demeure c’est pour me foutre dehors ils n’aiment pas les pleurnichards quand c’est trop souvent la pleine lune je prends une demi-gramme de zoldipem poudre blanche compressée minuscules bâtonnets que j’avale à trois heures du matin avec un peu d’évian plonge plus loin que les nappes phréatiques ne plus rien savoir mourir un peu en douce amarré à mon polochon de toujours naviguer dans les souterraines cavernes puis mes lèvres se posent sur le magnolia qui entrouvre ses muqueuses luisantes et je lèche tous les sucs qui suintent salés sucrés ma langue pénètre le plus loin possible du machst mir solche Lust elle murmure fredonne quand ses tressaillements commencent à se calmer elle dit viens je veux ton sperme c’est des syllabes qu’elle n’a jamais dites comme ça et maintenant elle les dit jamais bite n’a été mieux mise en demeure



14.

quant à l’âme c’est un souci et un mutisme ein Verstummen elle s’amenuise se rapetisse les mots de l’empereur Hadrien sonnent dans les oreilles il dit ça à notre place mots gravés sur une plaque de marbre dans le château des Anges au bord du Tibre animula vagula blandula petite âme vagabonde & séduisante sentant le vertige de l’abîme il ne sait quoi dire alors il parle de l’âme pallidula rigida nudula livide rigide pouilleusement nue il essayera de se comparer à la luciole laide & chétive qui tente de prendre son envol pour une autre galaxie mais il fait trop noir trop froid l’étincelle aussitôt s’éteint la minuscule carcasse de l’insecte se décompose parmi les grises farines interstellaires un empereur et un vers luisant passent furtivement sur la page celui qui écrit trace péniblement quelques signes nec ut soles dabis jocos fini le temps des facéties



15.


les quelques rares fois que j’ai rencontré Thomas Bernhard je me souviens de lui souriant même un peu narquois il est mort en février 1989 deux semaines avant ma femme de temps en temps je rêve de lui et je le vois souriant & amical je rêve qu’il vient me voir je rêve qu’il n’est pas mort je rêve qu’il est content de venir me trouver il est chez moi en sécurité rien chez moi ne va lui arriver il est malade depuis si longtemps mais chez moi il y a comme une rémission il fait chaud chez moi les murs de ma maison sont épais aucune chienne de camarde autrichienne ne passera à travers mes murs nous évoquons un ancien souvenir du temps où il n’était pas encore célèbre ni haï ni adulé j’avais traduit sa nouvelle Zwei Erzieher et pendant ma lecture dans l’Orangerie j’étais assis à côté de lui lisant ma traduction potachement heureux


Pourquoi le merle de Breughel
n’est peut-être qu’un corbeau
et quelques autres consolations
éditions Estuaires, 2008




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