samedi 17 septembre 2016

AUTRE LIASSE, chap. 9

peinture de Leon Spillaert




chapitre 9

1.
Le minuscule insecte d’un millimètre et demi qui trotte sur mon feuillet a une force physique inouïe ; pour pouvoir continuer à travailler sans le mettre en danger, je lui souffle dessus à pleins poumons, il s’agrippe et reste en place, puis, l’ouragan étant passé, il se remet tranquillement à cheminer. Pour lui la surface bien lisse de mon feuillet doit être un vaste territoire accidenté, plein de crevasses et de ravins.

Il ne sait rien de moi et moi je ne sais pas ce qui se passe dans sa caboche.

Nous habitons la même auberge. La même galaxie.

2.
VIE D’UN POÈTE AU XXe SIÈCLE — Jan Zahradníček est né le 17 janvier 1905 à Mastnik en Bohême. De 1940 à 1948 il dirige la revue « Akord », d’orientation catholique. Entre 1930 et 1948 il publie sept recueils de poésie. En 1951 il est arrêté par la police secrète du régime communiste et, dans un procès truqué, condamné à 13 ans de prison pour complot contre l’Etat et haute trahison. Sa traduction de la « Divine Comédie » ne peut pas paraître sous son nom. En 1956 il est libéré après la mort accidentelle de ses deux filles, intoxiquées par des champignons. Après quinze jours il est ramené à la prison. Quatre ans plus tard, en 1960, à cause de sa santé très précaire, il est amnistié. Après trois mois de liberté il meurt, le 7 octobre 1960.
En 2002, Peter Král traduit et publie deux de ses poèmes dans « Anthologie de la poésie tchèque contemporaine », collection Poésie/Gallimard.

3.
Pour ce qui est de la guerre, le général américain Curtis Le May avait tout compris : If you kill enough of them, they stop fighting.

4.
Cette bribe de valse d’Eleni Karaindrou, infiniment mélancolique, c’est une guirlande à suspendre dans le crépuscule d’été pour que la luciole de l’âme vienne s’y prélasser quelques instants avant de s’éteindre. (pour Astrid)

5.
La délégation du département de la justice vient au palais demander des instructions à l’empereur, à propos de ce poète insolent et lascif. Auguste est à sa fenêtre, tout songeur, à contempler dans le jardin le rhinocéros impérial se vautrer dans la mare fangeuse. L’empereur reste muet, mais sans se retourner fait un geste énervé avec le bras. Plus tard dans la journée, au département de la justice, on interprète ce geste comme signifiant : Hors de ma vue !

Ovide est exilé pour le reste de sa vie dans la sinistre & barbare bourgade de Tomi au bord de la Mer noire.

6.
Pour ce qui était du Vietnam, le général américain Curtis Le May avait tout prévu : We’re going to bomb them back to the stone age (dans son autobiographie publiée en 1965).

7.
Ich bin in einer kurzgeschlossenen Verkabelung mit ihr, sagte er mir habe er gesagt.

8.
Désormais il n’y aura plus ces énervantes fines paillettes de cendres de tabac sur ma table de travail : je viens d’acheter un petit soufllet qui souffle souffle.

Faudra examiner si cela fonctionne aussi pour les courageuses minuscules bestioles.

9.
Quand je redescendis dans mon bureau après ma sieste, Astrid était partie. Sur ma table un billet : Je suis aux prunes. Le soir elle prépara de la compote.

10.


T’ao Ch’ien (365-427), assez tard dans sa vie   ̶  alors que le ciel est froid et longues les nuits et que les oies migrent vers le sud dans la désolation des rafales de vent   ̶  écrit un long poème composé de trente et un distiques intitulé « Elégie pour moi-même ». Dans l’introduction à son triste & funèbre texte, il note : Moi, maître T’ao, j’aurai bientôt à quitter cette auberge de voyageurs et retourner pour toujours dans ma demeure d’origine.


AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit



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