dimanche 25 septembre 2016

Autre liasse, chap. 10

dessin Pierre Aleschinski




chapitre 10

1.
Sur mes tables de travail il y a une quinzaine de récipients de toute sorte avec des crayons et stylos couleurs, plus de 150 crayons, mais il y a toujours une couleur qui manque, j’aurais eu besoin d’un crayon mauve, qui est celui avec lequel je marque les anaphores. Ce matin je devais souligner un passage d’anaphores dans « L’Apocryphe » de Pinget. Mais pas de crayon mauve, et si je remplace cette couleur-là par une autre, ça fait des confusions et des zizanies. Que vais-je devenir ?

2.
Si je suis tellement vif & vivant, c’est qu’elle me tient, me maintient tout le temps dans son étranglement. Suffocation du désamour.

3.
On nous explique que Torganov, dans ses « Feuillets d’hiver », voulait dire tout le temps et à chaque page, comme dans des sortes de leitmotive non-dits, que d’aller si mal le faisait aller bien.

4.
En 1887, les feuillets n’avaient pas encore de lignes, fallait régler, comme faisait Jules Renard, régler son papier (note-t-il sur la première page de son Journal), comme faisaient les copistes gothiques.

Et en 1857, dans « Madame Bovary » : Le soir, à l’étude, il tira ses bouts de manche de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, régla soigneusement son papier.

Régler — scrupule de la définition dans « Trésor de la langue française » : Tracer à l’aide d’une règle, ou d’un appareil qui en tient lieu, des lignes droites parallèles sur une surface unie, le plus souvent sur du papier.

5.
On estime que le désamour supprime (brûle, consume à part) à peu près 80% de l’oxygène qu’on respire pour vivre. — Leonid Krankov, « Etudes cliniques sur les sentiments de base », IVe chapitre, p. 378, Saint-Pétersbourg, 1909

6.
Comment, pendant les mouvements paroxystiques de la pénétration, je pénétrais aussi, du doigt, sa bouche, la toute chaude cavité buccale, sur la langue, sous la langue, à l’intérieur des lèvres, et comment elle habillait tout mon doigt d’une abondance de salive.

7.
Dans un grand livre il y a tous les livres. Marc Aurèle, à la fois éclectique & universel, dans le VIIe livre de ses « Pensées pour moi-même », on rencontre tour à tour Qohelet, Omar Khayyam, Confucius, Spinoza, Kant, Jésus, Socrate, Bouddha, Epicure, Montaigne.

8.
Pubertätstagebuch hätte man führen sollen… écrit Peter Rühmkorf dans son journal en 1971. Mes treize ans mes quatorze ans mes quinze ans mes seize ans mes dix-sept ans mes dix-huit ans mes dix-neuf ans mes vingt ans : j’ai rempli de notes pubertaires quelques dizaines d’épais cahiers, à raison de plusieurs pages par jour, pendant toute mon adolescence, milliers de pages. Tout a brûlé.

9.
Le matin du 11 mai 1797, Goethe fait de la dissection de limaces. Le matin du 12 mai, celle de vers de terre (Regenwürmer anatomiert…).

10.
La Lesbia des poèmes de Catulle s’appelait en réalité Clodia — mais qu’est-ce que la réalité quand il est question d’écriture ?

Catullus is my master, écrit James Laughlin (1914-1997), et aussi, dans son poème « Technical Notes » : Catullus could rub words so hard / together their friction burned a / heat that warms // us now 2000 years away…



AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII

inédit



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