jeudi 10 septembre 2015

dans les franges du silence

Léon Spillaert, peinture, 1921


chapitre XVIII


1.
Mes truismes, je les formule, comme pour projeter des ponts de fortune au-dessus des gouffres de l’ignorance et de l’inconnaissable.

2.
Dans la chambre du solitaire Paul Léautaud, dans sa piaule mal chauffée à Fontenay-les-Roses, en 1941, la petite guenon affalée sur le radiateur, la chienne Miss sur son sofa et vautrés sur elle trois ou quatre chats, le chien Toto au pied du lit, trois ou quatre chats sur le lit et un ou deux dans le lit, la chienne Babette est dans la pièce annexe, derrière un grillage, de temps en temps la guenon accepte que l’un ou l’autre chat vienne s’étendre à côté d’elle sur le radiateur.

3.
Au lycée, les taches qu’on pouvait parfois voir sur le pantalon d’un camarade, nous les appelions Jonggeselleflecken, taches de célibataire.

4.
A Rome, au matin du 11 janvier 1581, Montaigne monte sur son cheval pour se rendre à la banque et en route il tombe sur un cortège avec des gens masqués et encapuchonnés qui conduisent le brigand Catena à la potence. Cet homme qui a tenu en crainte toute l’Italie, a été condamné pour meurtre, notamment de deux capucins auxquels il avait fait renier Dieu.
Il est conduit sur une charrette, assisté de deux moines qui le prêchent, et l’un d’eux lui présente continuellement sur le visage et lui fait baiser sans cesse un tableau où est l’image de Notre Seigneur.
Devant la potence, une poutre entre deux appuis, on continue à lui présenter le crucifix, jusqu’au moment où le bourreau le pousse pour le faire étrangler par la corde. Ensuite ils détachent le cadavre et l’écartèlent, on le détrancha en quatre quartiers.
Montaigne qui fait noter tout cela par son secrétaire dans le « Journal de voyage », fait remarquer qu’entre Rome et la France il y a une différence en ce qui concerne le traitement des condamnés à mort : Ils ne font guère mourir les hommes que d’une mort simple, et exercent leur rudesse après la mort pour dire qu’ici, contrairement aux pratiques françaises, on ne torture pas le criminel avant sa mise à mort.
Mais il faut rappeler que, de la part de l’Église, une des principales censures que les inquisiteurs avaient prononcées contre les « Essais », c’était que Montaigne s’y était élevé contre la torture. Ils lui demandèrent d’enlever le passage où il fustigeait tout ce qui, dans le châtiment, allait au-delà de la mort simple. Pour l’Église du XVIe siècle il est inacceptable qu’on n’accepte pas la torture.
Montaigne, dans son livre, n’a jamais enlevé le passage incriminé.

5.
Les lettres à Strik, de la 303e à la 880e, ont été détruites ce n’est pas une raison de ne pas les reprendre.

6.
Ed è subito sera Salvatore Quasimodo

7.
Je n’ai jamais su apprendre par cœur un seul poème, mais je trimbale des centaines de vers (isolés), quintessence de poésie, saisir le noyau incandescent & insaisissable de l’existence, caractériser des situations cruciales de la vie, irradiations qui vont au-delà de la mort.

8.
Ces jours-ci il a fait grand soleil, et soudain le Soir.

9.
881e lettre à Strik Sur la solitude, sur la chute définitive dans la solitude, sur les rayons du soleil et sur le crépuscule, sur la nuit qui s’annonce, sur le noir de la nuit, sur l’inanité des aurores, sur le silence, das Schweigen das Verschweigen das Verstummen, et toutes les syllabes qui vont encore frétiller dans les franges du silence.

10.
Le rayon du soleil comme métaphore. Abusive & dramatique. Un rayon ne transperce pas, ce n’est pas une dague. Sauf quand ça vous arrive.
Ognuno sta solo sul cuor della terra
trafitto da un raggio di sole
ed è subito sera


LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS

inédit


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