peinture Jean Dubuffet
LAMBEAUX, ARRACHURES
33 notes
(1980)
je ne me souviens pas du temps où j'étais sans mots
Bernard Noël, "Treize cases du je"
Il n'est pas d'autre domaine : solitude du
sexe et de la mort. Truisme et retruisme.
Et l'amour est une coccinelle, straño bicho de Dios, qui parfois vient
atterrir sur le bout de mon petit doigt.
Le gros du
sens dans la senteur ? Des fois je n'ai pas envie d'être lucide. Fuir ou forer,
voilà la question. Ou seulement fureter ? Fouiner de toutes mes papilles dans
tes plis et replis ?
Lorsqu'elle
est là, qui m'a ému, qui m'émeut, me met hors de moi, - et en même temps me
claquemure dans la plus ténébreuse turne, pied-à-terre dans la perdition,
lorsqu'elle est là : senteur de belle sueur, de cuir, d'exquis arôme
chimirique, message de plus loin que tous les genièvres du Pérou.
Et les
adolescentes qui reviennent de la salle de gymnastique, charriant fragrance
fauve, écœurante peut-être, ou seulement précise, sans ambages, je ne sais pas
au juste, mon nez n'a jamais été jusqu'à la moiteur de leurs aisselles.
Celle qui
à dix-sept ans, il y a très longtemps, me coupait le souffle, irrespirable de près
; ce n'est que bien plus tard que je m'approchais, l'aspirant jusqu'aux
extrêmes extrémités de ma cervelle.
Mais
assez, les odeurs c'est un autre livre, et qui me décourage et me fascine, qui
thésaurise tout le savoir sur les séjours prénatals et postmortels.
J'ai dû
être, il y a des millénaires, au parfum du paradis.
Je veux
bien que Pichon écrive son bouquin de 421 pages ; que d’autobiographie ! Je n'y
entends rien, presque rien, à sa minutieuse malédiction ; il écrit pour se
sauver - fuite ou salut ? -, page après page la chronologie en pagaille, ratage
et radotage. Je fais moins bien que lui, évidemment, mais je voudrais faire
cent fois mieux.
Pour
commencer, j'éviterai l'autobiographie, question de politesse, je l'éviterai
jusque dans la moindre subordonnée.
Un livre
n'est pas un confessionnal ; je me débarrasse de ce que je trimbale, mais sans
prendre les gens pour des curés.
Je suis et
veux rester curieux de Je - pronom qui n'a pas fini de m’intriguer ; qu'est-ce
qu'il a à voir avec moi ?
Il fallait
d'abord raconter des histoires de bite, anecdotes sans fioritures, sans
empesage lyrique, - ensuite les classer et ne plus y revenir. Vous vouliez la
privatiser, l'universelle spermitude, voilez-vous la face, et le reste, mettez
toutes les cravates, et le reste, dont regorgent vos bahuts. Quatre cent vingt
et une pages, c'est trop et pas assez ; sur les seules odeurs il en faut faire
mille et trois.
Toi aussi
que tu mettes cette combinaison blanche, et que tu t'accroupisses en la
soulevant, que tu écartes les jambes pour que je voie, que tu sois bandante et
branleuse, qu’intentionnellement ostensiblement tu mettes en scène l'abduction,
montrant pour montrer.
Mais le
scénario débile te hérisse, le machin macho, même debout comme ça à froid, tu
n'en as que foutre, et ma raison raisonnante opine fort dans ton sens.
Et
pourtant voici : dans son appartement je pensai soudain : cela ne m'embêterait
pas de l'entendre pisser. Pensée presque fraternelle. De là à souhaiter le fluide
chaud sur mes mains, - je ne sais pas. Si, peut-être, si, je peux m'imaginer ce
moment.
Je dirais
tout ça pour t'enquiquiner gentiment. Je suis comme un collégien qui au petit
matin de la Pentecôte s'exercerait à de très gros mots dans la Galerie des Glaces
de Monsieur Quatorze.
Tu sais
combien je suis pudique, mais tu ignores tout de ma pudeur.
Le
blottissement, des fois, me réussit, mais c'est celui du hérisson. Et quand
j'écris c'est contre le froid. La tiédeur ne convient pas, paraît-il.
Je ne sais
plus quand écrire comment écrire comment aligner les mots, je me cache pour
écrire, c'est pas lumineux, pas convenable. Subrepticement quels procédés
d'assagissement inventer ? Quelles affirmations ? Quel oui contre le gel ?
J'écris à
la dérobée tout le temps, et si je n'écris pas, j'écris tout de même et c'est
toujours le même écrire, comment sortir de l'écrire, - en écrivant.
J'écris je
me planque je dissimule les meurtrissures : des bleus qui n'ont pas couleur de
ciel.
J'explique
ce qui me bouleverse. Le froid d'octobre, j'en reste miné, froidure qui m'a
subverti les fibres. Puis ces quelques lignes de Xavier Grall sur Perros.
L'amitié. Pudeur de l'amitié. Je voudrais chialer, sans pudeur, s'il n'y avait
pas ces quatre murs qui me toisent. Solitudes au fond du galetas ; toutes les
façons de conjuguer conjurer le je-ne-suis-pas-mort.
Les pommes
s'agrippent à l'arbre défeuillé. Les morceaux de sommeil que je continue à
traîner, lambeaux arrachures qui m'encombrent les vaisseaux ; le je du songe
qui me tyrannise aveuglément.
Et c'est
avec des bribes d'âme dans l'âme que je débobine une leçon sur le cogito,
cherchant et trouvant les mots mais quels mots, Descartes planqué dans ses
mansardes bataves.
La voix
cassée de Georges Perros, amputée, - revêche et sèche amitié que nul ici ne
partage concède comprend approuve; histoire, dit-il, de m'engager dans la
monotonie intégrale…, autres bribes que je traîne qui me traînent, précieux
détritus, secrètes fringues qui capitonnent contre le gel précoce.
Je ne
serai plus comme avant, Perros, comment sans panache sans privautés mettre ton
nom au fil de ma barbouille, amitié sans référence, intolérablement invisible,
- quelle inqualifiable pudeur pour dire cette poignée de mains qu'il n'y aura
jamais eue…
Tutoiement
pour lequel je ne vous aurai jamais demandé la permission.
Et la joie
d'écrire, malade gourde et indécente, enthousiasme des mots, alliances alliages
alluvions allusions, envie de dire, malfichu et maladroit, crâneur et fanfaron,
sincère et cabotin, fringale de dénommer de débaptiser, de bousculer les
molécules vieillardes trop longtemps agglutinées, césariennes sur des portées
en souffrance, zizanie dans le lexique, entrer dans la confidence des syllabes
en vadrouille, à l'écoute de la vie secrète des mots, complots attentats,
violer de trop anciennes fiançailles, cambrioler les métaphores, divorces
copulations.
Et malgré tout
: sans cesse revenir au savoir de toujours avec les mots de jamais. Savoir de
nulle part. Pressentiment sans cesse renouvelé de pouvoir être à l'unisson
sporadiquement - fulgurances implosions - avec Héraclite Montaigne Novalis
Baudelaire, prendre le chemin risqué de la tangente, trajectoires qui se
flairent se nouent se nodifient nidifient, marcher marcher, mais aussi sans
cesse le goût de l'étape halte station.
Fascination
du migrateur: ses ailes ses nids. -- il est capable des continents des océans,
-- capable de la couvée, les plus lointaines, les plus fortes nostalgies, la
plus intense paresse.
Partir sans
cesse et sans cesse arriver, sans jamais savoir où on va où on tombe la veste,
hiberner et se consumer, trop de chaleur trop de gel, et l'horreur de la seule
possible tiédeur.
Le
hérisson se déblottit et, franc ou poseur selon la saison, couine ses bobards.
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