photographisme © L.
Sch.
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Dans la douceur
lémanienne où il vivote dans ses pantoufles depuis des décennies, il vient le
soir, comme tous les jours, s’asseoir sous le grand saule, son grand saule au
bord du lac, observer le friselis de la brise sur l’eau sombre, et soliloque
muettement, ressasse de très anciennes histoires d’amourachement, les
septuagénaires ne servent plus à rien, trop jeunes pour mourir, trop vieux pour
vivre, plein de givre dans les cheveux, plein de gelure dans le cœur, il vivote
dans ses pantoufles lémaniennes, du temps où il donnait ses causeries, les
salles étaient bondées, on prenait des notes, et le lendemain son effigie clignote
dans la colonne culturelle des canards locaux, il est célèbre pour un jour ou
deux à Neuchâtel, Vevey, Yverdon, La-Chaux-de-Fonds, les saisons s’accumulent,
les années passent, l’âge vient, il grisonne, et blanchit, et flanche, et se
ratatine, brûle tous les papiers de toutes ses conférences, et toutes les coupures
de presse avec toutes ses effigies, et tous les billets doux amourachés, pour
sa quotidienne promenade au bord du lac il a gardé ses pantoufles, sur l’idyllique
sentier il ne rencontre personne, il marche lentement jusqu’au grand saule, son
grand saule, observer encore une fois le friselis sur l’eau sombre, et regarder
le soleil couchant jeter une poignée de paillettes d’or dans le lac, quelques
jours plus tard on découvre dans les roseaux son cadavre décomposé.
dans "Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 42 - inédit
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