jeudi 23 octobre 2014

La vieille cruche






Le crâne, sous la pelle soudain affleure, comme une vieille cruche cassée, concave cavité où dans la masse molle & gélatineuse de la cervelle avaient vibré les images les sentiments les sensations les angoisses les espoirs les désirs, et un visage, un regard, un sourire, parfois des paroles, et un corps, et la peau, et les gestes, une histoire unique parmi des milliards d’histoires, une histoire oubliée, perdue, una storia sbagliata, une histoire illisible qu’on déterre après cinquante ans, au hasard d’une fouille de terrain, crâne abîmé, comme une vieille cruche, cavité remplie de terre et de cailloux, aucune trace des millions d’images, la vermine et le lombric sont passés par là, et à l’endroit où l’âme s’était recroquevillée, de fines radicelles d’ivraie ont investi le territoire, in pulverem reverteris, à la poussière d’étoile je suis retourné, me suis minéralisé, la seule réalité, ce sont les molécules, mon histoire n’était qu’un songe, une étincelle immatérielle, un regard avait mis de la lumière dans mon regard, et mes yeux se meurent de ne plus voir tes yeux, une histoire perdue, una storia da dimenticare, parmi les milliards d’histoires aucune n’importe, toutes se valent, et toutes s’abîment, un jour la terre s’entrouvre un peu pour recevoir la dépouille, et je perdure, quelque temps, dans une vieille cruche cassée.


"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 47 - inédit 

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