Le
crâne, sous la pelle soudain affleure, comme une vieille cruche cassée, concave cavité où dans la masse molle & gélatineuse de la cervelle avaient vibré
les images les sentiments les sensations les angoisses les espoirs les désirs,
et un visage, un regard, un sourire, parfois des paroles, et un corps, et la
peau, et les gestes, une histoire unique parmi des milliards d’histoires, une
histoire oubliée, perdue, una storia sbagliata, une histoire illisible qu’on déterre
après cinquante ans, au hasard d’une fouille de terrain, crâne abîmé, comme une
vieille cruche, cavité remplie de terre et de cailloux, aucune trace des millions
d’images, la vermine et le lombric sont passés par là, et à l’endroit où l’âme
s’était recroquevillée, de fines radicelles d’ivraie ont investi le territoire,
in pulverem reverteris, à la poussière d’étoile je suis retourné, me suis
minéralisé, la seule réalité, ce sont les molécules, mon histoire n’était qu’un
songe, une étincelle immatérielle, un regard avait mis de la lumière dans mon
regard, et mes yeux se meurent de ne plus voir tes yeux, une histoire perdue,
una storia da dimenticare, parmi les milliards d’histoires aucune n’importe,
toutes se valent, et toutes s’abîment, un jour la terre s’entrouvre un peu pour
recevoir la dépouille, et je perdure, quelque temps, dans une vieille cruche cassée.
"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 47 - inédit
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire