Ce
n’était pas une fléchette dans le dos, mais un coup de hache, profonde entaille,
jusqu’au bord de l’âme, Waldemar avait déjà parcouru six décennies dans l’existence,
exerçant toutes sortes de métiers, postier portier explorateur bûcheron
apiculteur, puis dans sa retraite vécut au bord du village, ne quittait plus
son petit logis sauf le samedi pour aller au marché, personne ne s’occupait de
lui, depuis le passage de Katinka dans sa vie, il avait toujours vécu seul, n’avait
plus jamais regardé les femmes, le samedi il achète œufs légumes charcuterie
fleurs, Katinka a des yeux d’or, elle porte un tablier bleu, elle est venue
vendre du miel et de la lavande, Waldemar regarde Katinka, la reconnaît,
Katinka regarde Waldemar qui soudain ressent la profonde entaille, jusqu’au bord
de l’âme, et il ne pense qu’une chose, il pense : je vais mourir, et il
reste immobile, cloué sur place, statue de sel, et comme l’entaille a
entamé son âme, il sent son âme s’écouler, se répandre, il sent le chaud de sa
vie se dissiper, il veut fermer les yeux, la lumière lui fait mal, mais ses
yeux restent grand ouverts, Katinka le regarde, comme hypnotisée, disant :
tu es revenu Waldemar, et tu vois, moi aussi je suis revenue, elle ouvre les
bras, et il s’effondre sur elle, le regard brisé.
"Kafka à la Fenice", péripéties improbables
chapitre 46 - inédit
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