Les
deux O d’octobre, elle n’aime pas le climat d’octobre, elle sort quand même, sans
rien dire à son mari, fait dans son véhicule le trajet d’une soixantaine de kilomètres
à travers les collines, roulant lentement sur la petite route départementale, écoutant
Iggy Pop, la chaussée est humide sous le ciel gris, les arbres perdent leur
feuillage, désolance dans le paysage, tristesse dans le cœur, je ne devrais pas
faire ce voyage, se dit-elle, ça ne sert à rien, la cérémonie a eu lieu il y a
quatre mois, en plein été, sous le ciel bleu du dernier jour de juin, elle n’y
était pas allée, n’aurait pas supporté les regards, elle a laissé passer les
semaines, s’interdisant de ressentir une sorte de soulagement de le savoir
parti, elle roule à travers les collines, écoutant « In the death car »,
il avait aimé cette chanson quand Goran Bregović, mélancoliquement narquois, dans
son veston blanc, la chantait, ça et tant d’autres bibelots dans le placard des
souvenirs, la toute dernière fois qu’ils s’étaient vus, elle lui avait dit :
ne me regarde pas ainsi sinon je pleure, là où elle va, c’est au bord du village
un petit domaine carré entouré d’un muret couvert de mousse, elle n’aime pas le
climat d’octobre, elle n’aime pas la saison grise, elle se souvient qu’il disait :
les deux O d’octobre, là où elle va, c’est la paisible morne bourgade-des-en-allés, elle se méfie des sentiments, quand elle
lui avait dit : sinon je pleure, elle s’en était voulu de sa faiblesse,
elle arrive, éteint la radio, pousse le portail en fer forgé, puis reste,
immobile quelques instants, devant la dalle de l’amant.
"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 52 - inédit
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