Le
haut mât est le vestige d’un projet d’antenne intercontinentale de la fin des
années quarante, les barres de métal sont hérissées de cristaux de givre, les
grands arbres au pourtour de la clairière ne sont plus que des squelettes
végétaux, la forêt est morte depuis de longues années, le grimpeur est à
mi-chemin de son ascension sur le mât dont le sommet s’estompe dans l’hivernale
brume, les doigts commencent à geler dans les épais gants matelassés, les
articulations des genoux n’obéissent plus et les pieds au fond des bottes sont
devenus sourds, le grimpeur est à
mi-chemin de son défi : arriver au sommet du mât, sans corde et sans
crampons, en solitaire, sans témoins, il cale ses pieds, s’agrippe avec les
mains, jamais il n’avait connu le vertige, et maintenant le vertige le
paralyse, il ne bouge plus, la nuit est en train de tomber, à cent kilomètres
de là, en ville, les fenêtres des immeubles s’illuminent, il fait chaud dans
les appartements, les couples vont se retrouver sous la couette, ici les
cristaux de givre sur les barres de métal continuent à croître, milliers de
petits glaives brandis, le grimpeur s’agrippe, et ses doigts gèlent recourbés
sur la barre de fer, il ne va plus lâcher prise, et restera agrippé, à
mi-chemin de son ascension, jusqu’au dégel au printemps.
"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 51 - inédit
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