dessin L. Sch. |
Toute
nue dans la nuit vénitienne, Alessia se recroqueville dans son lit étroit, elle
n’avait jamais fait ça depuis qu’elle est pensionnaire au Pio Ospedale, se
coucher nue, ça ne se fait pas, sur la petite table, elle a laissé la chandelle
allumée, dans la salle de répétition la petite bande des musiciennes a toute la
journée travaillé « L’Invierno », le dernier des quatre concertos que
le maestro leur a soumis il y a une dizaine de jours, éblouissant, on n’avait
jamais rien entendu de pareil, quelle extravagance quelle tendresse quelle
folie, dans la pénombre de la mansarde la chandelle éclaire faiblement le galbe
du violoncelle posé à côté de la commode à linge, sur la table, un feuillet sur
lequel Alessia a commencé à écrire sa lettre d’amour, elle a enfin réussi à se
procurer de l’encre, après quelques lignes, elle arrête d’écrire, exténuée, se
déshabille et va se coucher dans son lit étroit, depuis dix jours elle vit dans
l’éblouissant tourbillon des « Quattro Stagioni », jamais le maestro
n’avait été aussi brillant, aussi inspiré, jamais le maestro n’avait été aussi
beau, ô son regard, ô ses mains, jamais Alessia n’avait vu d’aussi belles
mains, quand le maestro dirige, c’est comme si la musique jaillissait du bout
de ses doigts, Alessia ne rêve plus que de ces doigts-là sur elle, elle n’a
jamais aussi bien fait sonner son instrument serré entre ses cuisses, la
musique lui fait vibrer le ventre, et dans la nuit vénitienne, elle se vautre
nue dans son lit, murmure Antonio et, pour accueillir le maestro, elle ouvre
grand les jambes.
"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 53 - inédit
.