mardi 21 février 2017

un rhinocéros sous la chaise - AUTRE LIASSE, chap. 24

Paul Ribeyrolle, Hommage à Courbet


chapitre 24


1.
Ce qui m’importe est les images ― Louis Scutenaire, « Mes inscriptions »


2.
Dans « Letters to Yesenin » (1973), lettre 12e, Jim Harrison mentionne ce gamin qui sees his first dirty picture… Quand il dit ça, il veut dire : une femme nue, puisque cette première image remonte à l’enfance, et cela déclenche un crucial questionnaire, c’était quand cette première image et comment était-elle et dans quelles circonstances a-t-elle été vue ?

Ce n’était sans doute pas une photo mais très probablement la reproduction d’une peinture, puisqu’en peinture il y a un inépuisable trésor de féminine nudité.


3.
Qu’il n’ait pour ainsi dire pas de sourcils, me semble comme la totale absence d’animalité dans son être, note Cosima Wagner au matin du 27 juillet 1878 à propos de son époux.


4.
Pour un questionnaire maxfrischien :

― Quand et comment te rends-tu compte de la différence entre garçon et fille ? Très tôt. J’avais une petite sœur, de trois ans ma cadette ; j’ai dû voir son sexe, quand ma mère lui faisait prendre son bain ou la langeait ; n’en garde aucun souvenir. Mais l’information était enregistrée.

― Te souviens-tu de ton premier émoi sexuel ? Non, évidemment non. Et quand l’émoi se fit, je ne savais pas que c’était sexuel.

― En quoi consiste, dans l’enfance, un émoi sexuel ? Une curiosité pour les choses du corps. Un trouble.

― Te souviens-tu de la première fois où tu te l’es fait ? Oui.


5.
C’était leur première rencontre, le jeune homme fit irruption dans la pièce où Russell était en train de prendre son thé, il se présenta : Loot-vig Vit’gun-shteyn, il ne parlait pas encore la langue anglaise, mais refusa par la suite que l’entretien se fît en allemand.

Et il y eut encore beaucoup d’entretiens, Wittgenstein revint presque chaque jour, et les échanges duraient jusque tard la nuit. Selon l’Autrichien, rien d’empirique n’était connaissable, on ne peut pas énoncer, philosophiquement : il n’y a pas de rhinocéros dans ce salon, Russell avait beau examiner tous les coins et recoins, sous les chaises et sous les tables, rien à faire, impossible de convaincre Loot-vig.


6.
Première fois que tu regardais, avec un tout début de trouble délectation, les seins d’une femme, les seins nus d’une femme nue ― la signalisation, l’emblème de la nudité, cela devait être cela : les seins, en peinture ― une Diane de Boucher, une baigneuse de Renoir, une Vénus du Titien.

(J’ai versé de mon sperme, à quatorze ans, sur les seins d’une Diane de Boucher, les bouts très roses, rose foncé, presque rouges, ― et de même, à plusieurs reprises, sur une gravure du XVIIIe siècle intitulée « La Comparaison », sur un feuillet hebdomadaire du calendrier d’art Hyperion, montrant deux jeunes femmes dans un boudoir, corsages largement ouverts, se montrant mutuellement leurs seins.)

(Je ne me suis jamais, dès le début, branlé que devant des images, y compris celles de l’aimée, quand elle était loin.)

(Je ne suis jamais parti pour un voyage solitaire sans emporter une provision d’images.)

Et quand l’aimantation vers le ventre, vers la fourche des jambes, plus tard, commence à se manifester, la peinture le répond plus. Il n’y a pas de sexe féminin en peinture, ni en sculpture.

Il y a l’ineffable infinie beauté des femmes dans les beaux-arts, mais pas leur sexe. Pas la beauté de leur sexe.


7.
Champignons gris pâle dans la sapinière : parles-en, décris-les, cela deviendra un poème. — Sylvia Plath


8.
Nus ils étaient, l’homme et la femme, nus dès le premier instant. Nus ils sont sortis des mains façonneuses du Créateur.

C’est Dieu qui a inventé la nudité, par défaut, par manque d’imagination, par épuisement de la créativité. Après avoir donné des écailles au brochet et à la truite, au lézard et à la tortue, des plumes à la mésange et à la grue cendrée, de la laine au mouton et au lama, de la fourrure à l’ours et au renard, des épines au porc-épic et à l’oursin, il était à bout d’inventivité, et c’est ainsi que pour couvrir Adam et Eve, il ne fit rien. Il les laissa nus.

L’homme et la femme, pendant l’éphémère période de leur bonheur primordial, étaient donc nus mais ne le savaient pas. Ils se regardaient et ne se voyaient pas. Adam regardait Eve et ne se rendait pas compte qu’elle était nue, qu’elle était femme.

Il fallut la sublime catastrophe de la désobéissance pour que la nudité fût et se sût.

Et tout cela est déclenché par le geste d’Eve de cueillir la pomme à l’arbre de la Connaissance.

Eve avait très tôt commencé à s’ennuyer dans ce trop parfait Jardin de la béatitude éternelle aux côtés de cet homme indolent et infiniment satisfait qui la regardait à peine.

Et lorsque le Serpent lui proposa la connaissance et la mort, elle acquiesça aussitôt et cueillit la fatale & libératrice pomme. Et y fit mordre l’homme.

Aussitôt ils se rendirent compte qu’ils étaient nus (Gen 3:7), cela les troubla et ils se couvrirent le bas-ventre.

Et l’homme désormais aura désir de découvrir le bas-ventre de la femme. Et voir. Et toucher. Et pénétrer.


9.
Prenant modèle sur Leopardi et ses recherches étymologiques, et sur Wittgenstein avec ses enquêtes sur le ‘Sprachgebrauch’, j’examine le mot anéantir, et je pense que s’il signifie réduire à néant, je peux dire que si je dis elle m’a anéanti, c’est pour dire qu’elle m’a réduit à néant.


10.
Look she has no clothes on and I only wanted to be a friend and maybe talk about art. ― Jim Harrison, 15th letter to Yesenin




AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit




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