peinture Willem de Kooning
♣ Il ramène une chimère grosse comme ça un
brochet gros comme ça une baleine grosse comme ça, mais à peine qu’il dépose sa
proie sur le bord de l’eau que la chimère s’évapore la baleine éclate le
brochet implose, attention, faut pas que je fasse des discours, je suis en
congé en suspens en quarantaine, les fantassins du petit matin font les cent
pas à la lisière de la forêt vierge, ou de ce qui en reste, parce que la forêt
vierge est décimée rasée saharisée, et les pistoleiros ont la gâchette facile
et la braguette ouverte, leurs kalachnikovs sont rouillées du dehors mais pas
du dedans, – dedans ça glisse, comme une bite dans un con bien huilé, cette
image m’est soudain venue, pour me divertir m’égayer me libidiniser, c’est une
image qui me plaît, une bite qui va & vient, d’abord je me suis cogné le
front sur la porte basculante qui était en train de rebasculer vers le bas
quand je m’avançai pour entrer, je me suis pris le bas de la porte en plein
front, dix minutes plus tard, dans l’appentis, j’ai marché sur le râteau dont
le manche, dans un mouvement de rapide bascule m’a tapé en plein front, au même
endroit, c’était un gag, mais sanglant, ça me dégoulinait dans les yeux, et
quand arrive le soir et qu’il s’agit d’aller se coucher, je me demande en quoi
a consisté cette journée, peu de chose, le brochet du matin et le front écorché
le soir, et un sandwich à midi, et le début de la chute de Bagdad, et la
résolution avortée, tout à fait avortée, de fumer un peu moins.
♣ C’est plus qu’un fouettage, c’est pire
qu’une cravacherie, tous les magnolias sont morts, en une nuit, c’est un
massacre, les pétales, parce qu’ils sont un peu charnus, le gel mord dedans,
les mâche, et les voilà qui pendent, bruns & avachis, alors que les
forsythias alentour semblent avoir tenu le coup, mais peut-être qu’il faudrait
aller voir de plus près, le jaune si vif manque soudain un peu d’éclat, alors
on voudrait fermer les yeux, se chanter des berceuses, se faire un joli
cinoche, elle présenterait sa vulve, s’offrirait à la vue, dans une posture un
peu spéciale, qui n’est ni celle, assise, les jambes ouvertes, devant un amant
qui bande, ni celle, à quatre pattes, croupe cambrée, devant une assistance qui
bave, mais celle, intime, presque narcissique : couchée sur le dos, elle
soulève les jambes, ramène les genoux vers le buste, ce qui fait saillir tout
en les comprimant les grandes lèvres, entre lesquelles viennent luire, rose
vif, les nymphes, ce qui distend le délicatement lisse périnée et fait sans
vergogne éclore l’œillet, j’aime la voir comme ça, c’est une sorte d’exhibition
mais avec un air de pudeur, et là-bas au vingt et unième jour de la guerre, le
cauchemar touche à sa fin, Bagdad tombe, et tombe la statue du dictateur, il
perd la tête, on crache dessus, on la traîne sur le bitume, on danse autour,
c’est un autre jour, c’est une autre époque, une dictature de plus de trente ans
tombe dans la poussière, je ne sais pas si là-bas il y a des magnolias, les
gens ont soif, soif jusqu’à n’en plus pouvoir.
LA TRAME DES JOURS
Le Murmure du monde, vol. 2
éditions des Vanneaux, 2010
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