dimanche 5 février 2017

syntaxe syncopée - PROSERIES, chap. 107

peinture Pierre Aleschinski


107.

Pouvoir allusif du rêve, terrible, on est en train de savoir et on a peur de savoir, et pendant qu’on sait on n’est pas sûr de savoir, évanescence révélatrice, révélation évanescente, le rêve indique mais ne dit pas, fait dire au voile ce qui est voilé, puis on émerge vers la veille, encore tout proche du redoutable flou de la nuit, écran instable dans la noirceur, et on essaye de se replonger, de retrouver les images, les visages, essaye de retracer la trame du récit, et on aligne des mots, mots dans une syntaxe syncopée, et on se méfie de voir les phrases devenir des phrases, le rêve n’a pas de phrases, pas de fil, pas de trame, les images ne sont pas des images, les noms ne sont pas des noms, le langage de la veille ne peut être que travestissement, trahison, et au moment où je donne un nom à celle qui m’est apparue dans le rêve, je me demande si ce n’est pas sacrilège de nommer, puis une autre apparition à laquelle je donne un nom, le mot apparition ne dit rien de ce qu’il y a à dire, ce qui apparemment apparaît n’est qu’une vague silhouette floue qui s’efface au moment où elle paraît se montrer, je rêve des deux femmes de ma vie, et je les nomme en tremblant, l’une morte, l’autre vivante, la morte est vivante, la vivante morte, je ne devrais pas les nommer, nous sommes dissous, elles autant que moi, dans les opaques fluidités de l’irréel, est-ce dans la vie, est-ce après la mort, le rêve le sait mais n’en dit rien.



PROSERIES
Le Murmure du monde, vol. VIII
chapitre 107
inédit



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