mercredi 22 février 2017

balbutiement - PROSERIES, chap. 113

peinture Paul Ribeyrolle



113.


En balbutiant dire ce que le balbutiement veut dire, puisque ce qui est dit ne dit pas encore ce qu’il y a à dire, l’élan de dire ne fait que, indéfiniment, préparer le terrain du dire, quelque part, en un lieu indécelable qu’on appellera, faute de mieux, derrière l’horizon, se prépare sans cesse un déferlement, qui, à mesure qu’on s’en approche, s’éloigne, le déferlement est sans cesse contenu empêché différé, c’est une prémonition, une imminence mais hors d’atteinte, on veut dire, on va dire, on va enfin commencer à dire et on commence à balbutier, et aux toutes premières syllabes du balbutiement, on a le sentiment que le déferlement, cette fois-ci, va se produire, on a le sentiment qu’à travers le balbutiement, en traversant le balbutiement, on finira par dire, on en est comme hébété, et on commence à dire, et les premières syllabes qui diraient ne disent pas, au lieu de dire on balbutie, et en disant on ne dit que ce que le balbutiement veut dire et le balbutiement ne dit rien, et le déferlement qui paraissait pour la énième fois s’annoncer s’amorcer ne se déclenche pas, mais s’abîme & s’amoche, comme à chaque fois, au moment crucial du dire, se dissipe & se dissout dans un lamentable balbutiement, même pas trois mots qui permettraient de deviner de quoi il aurait pu être question, et pour la énième fois rien ne s’est dit.



PROSERIES
Le Murmure du monde, vol. VIII
chapitre 13
inédit




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire