peinture Paul Ribeyrolle |
113.
En balbutiant dire ce
que le balbutiement veut dire, puisque ce qui est dit ne dit pas encore ce qu’il
y a à dire, l’élan de dire ne fait que, indéfiniment, préparer le terrain du
dire, quelque part, en un lieu indécelable qu’on appellera, faute de mieux,
derrière l’horizon, se prépare sans cesse un déferlement, qui, à mesure qu’on s’en
approche, s’éloigne, le déferlement est sans cesse contenu empêché différé, c’est
une prémonition, une imminence mais hors d’atteinte, on veut dire, on va dire,
on va enfin commencer à dire et on commence à balbutier, et aux toutes
premières syllabes du balbutiement, on a le sentiment que le déferlement, cette
fois-ci, va se produire, on a le sentiment qu’à travers le balbutiement, en
traversant le balbutiement, on finira par dire, on en est comme hébété, et on
commence à dire, et les premières syllabes qui diraient ne disent pas, au lieu
de dire on balbutie, et en disant on ne dit que ce que le balbutiement veut
dire et le balbutiement ne dit rien, et le déferlement qui paraissait pour la
énième fois s’annoncer s’amorcer ne se déclenche pas, mais s’abîme & s’amoche,
comme à chaque fois, au moment crucial du dire, se dissipe & se dissout
dans un lamentable balbutiement, même pas trois mots qui permettraient de
deviner de quoi il aurait pu être question, et pour la énième fois rien ne s’est
dit.
PROSERIES
Le Murmure du monde, vol. VIII
chapitre 13
inédit
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