chapitre
23
1.
Le
Kapellmeister du Prince, ce matin de mai 1719, sort déambuler dans le vaste
parc du château de Köthen; il vient d’inscrire sur la portée le prélude de la
première Suite pour violoncelle; puis au croisement d’une allée, il tombe sur
le jardinier, et ils s’entretiennent quelques instants, la question des
espaliers de poires: végétation et architecture, foisonnement et mathématiques,
c’est comme mes arpèges, dit
Jean-Sébastien, et le jardinier, de bonne humeur, sourit; il n’a jamais entendu
une note du Kapellmeister qui aime tellement ses vertes poires.
2.
Parlant avec H**, cherchant mes
mots, je finis par dire que j’ai été, par cette femme, miraculé & démoli,
avec pareille violence miraculé & démoli, et cela continue à se tenir la balance,
violemment, et je remercie la vie, chaque jour, de m’avoir ainsi violenté.
3.
Réminiscence d’un mot d’Yves
Navarre, lu il y a plus de quarante ans : cette louche lunule qui reste
sur l’ongle de l’index.
4.
Ma fille Anna m’a offert ce livre
de sa bibliothèque : « En ce moment précis » de Dino Buzzati, carnets,
fragments de réflexions, miniatures de récits, souvenirs, biographèmes, rêves
et rencontres, angoisse, passion & autodérision— il remplacera celui que
j’avais dans ma bibliothèque italienne, acheté en 1966 à Paris, détruit par le
feu en avril 2015, cinquante ans après, c’était mon tout premier Buzzati, et au
fil des années, j’ai acheté les autres, beaucoup d’autres, et je suis retourné
encore & encore à Buzzati, encore & encore à « En ce moment
précis », puis je l’ai repris en italien : « In quel preciso momento »,
d’où j’ai extrait, recopié, imprimé, affiché, encadré, suspendu au mur le texte
« scrivi ti prego », que j’ai devant les yeux nuit & jour, « écris,
je t’en prie, deux lignes seulement … en serrant les dents … écris, écris
… »
5.
Partager cela avec Ovidius Naso,
comment dans l’exil, m’identifiant à lui, je me souviens lancinamment de ces
moments où, dans l’affolement de la conjonction, l’amante disait : Tu peux
venir dans ma bouche, tu peux venir dans mon cul.
Il est au morne bord d’une Noire
Mer et les romaines amours sont si loin.
6.
Concernant le geste de Baubo
[dénudement & exhibition de la vulve], Brantôme dans « Les Dames
galantes » évoque ces femmes égyptiennes d’Alexandrie, qui à l’accueil de
leur grand dieu Apis allaient en très grande cérémonie, levant leurs robbes, cottes et chemises, et les retroussent le plus
haut qu’elles pouvoyent, les jambes fort eslargies et escarquillées, leur
montroyent leur cas [mot codé pour sexe] tout à fait.
Brantôme commente : Je pense que telle vue en était bien
plaisante.
Pour la source de cet épisode,
Brantôme, érudit dilettante, cite comme presque toujours de mémoire — et se
trompe de source : il mentionne que cela se trouve au VIe livre
des « Jours Jovials » d’Allessandro Alessandri (1461-1523), où des
érudits moins dilettantes n’ont rien trouvé de tel ; il faut aller voir
chez Diodore de Sicile ( né en 90 av. JC), IVe livre, chapitre LXXXV
et chez Hérodote (484-420 av. JC), IIe livre, chapitre LX.
7.
Eigeneinschätzung der psychosomatischen
Befindlichkeit, mit konkomitanter Dramatisierung des Saftes, der nur noch
phantomatisch vorhanden ist, nicht mehr explizit sicht- & fühlbar heraustritt,
hervorquillt, emporspritzt; nur noch intern während der euphorischen
Erregungsverteifung implodiert im Augenblick der iterativ-spasmodischen immer
noch intensiven Lustkatastrophe. ― in: Herbert
Romainville, „Untersuchungen zur degenerativen Gerontophysiologie“,
Hippocratica, Jahrgang XXXIV, Heft 68, S. 103
8.
Il n’y a
pas que ça chez Montaigne, la conversation (conférence),
à l’étage supérieur avec les écrivains, les Plutarque Sénèque Épicure, mais
aussi l’entretien, au hasard d’une rencontre, avec des gens d’ici-maintenant :
Je louerais un’ame à divers estages […]
qui puisse deviser avec son voisin de son bastiment, de sa chasse et de sa
querelle [= ses affaires de justice],
entretenir avec plaisir un charpentier et un jardinier. — « Essais,
III, 3 »
9.
Dans un bref dialogue de Lucien
de Samosate (~120-~180) intitulé « Conversation avec Hésiode », ce
dernier, concernant l’inspiration poétique, déclare : rien de mes rhapsodies ne m’appartient en propre et (…) tout vient des
Muses, puis, concernant la
composition des textes, il dit qu’il faut savoir que nous insérons dans nos vers une foule de mots qui ne sont là que pour
la mesure et l’euphonie.
La transe — puis l’artisanat.
10.
Lorsque
Montaigne, dans « Essais, I, 13 » parle de son livre comme d’une rhapsodie, il pense sans doute à l’étymologie
première du verbe grec rhaptein, qui
désigne le travail de couture et de rapiéçage.
AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit