jeudi 1 décembre 2016

LE RESSAC DU TEMPS

dessin Pierre Aleschinski


Encore une lettre de Strik, il me suit, me poursuit, me traque, mais me veut, je le sais, du bien. Je ne lui réponds pas toujours ; il ne me fait pas de reproches, il sait que les réponses seront, un jour, dans le bouquin. À moins qu’on me foute, prématurément, je veux dire : avant l’heure, à la station de désanimation. Philosopher, c’est apprendre à mourir, – c’était dans Lagarde & Michard, j’avais seize ans…, ah, si je savais philosopher ! Pour écrire ça, je suis assis demi-nu, les pans du peignoir ouvert tombent à droite et à gauche, j’ai les jambes croisées, ça comprime les couilles et me rend conscient de ma queue, pendant que je cherche mes mots, la main gauche empaume la tendre chose, doigts glissent sur le gland et le long de la hampe, ça me le gonfle, c’est tiède et tout doux, c’est, au centre de l’homme, le sexe tout à fait étrange & surprenant. La moitié de l’humanité se promène avec ça, nuit & jour, à tout instant. Et saint Jérôme, je vous le demande, comment faisait-il, quand ça s’érigeait ? Était assis là, tout bandu – et écrivait contre ; les Pères de l’Église et leurs couilles trop pleines, c’est une enquête qui n’a jamais été faite.

Une femme m’a dit un jour, joliment : ça tombe bien que tu aies ça ; – et je lui demandai si ça la dérangerait que je mette cette phrase dans mon roman, c’est une Lucie ou une Sylvie qui dira ce que tu dis…

Et comme je ne suis pas saint Jérôme, j’écris pour, j’écris que c’est une tendre chose, un bel outil, un sublime instrument. Et dans les livres de femmes, je savoure les jolies phrases qu’elles écrivent avec leurs féminines mains, savoure leurs mots de désir & d’excitation, ah tenir à pleine main la flèche pulpeuse, Claire Fourier, Métro ciel.

Ce sont des mots qui passent, mots de passe, ed è subito sera, lisant, lisant jusqu’à avoir mal à la tête, je ne remarquai pas que la nuit était tombée, la pièce plongée dans le noir, sauf au-dessous de l’abat-jour sur la page, je lis Bashō, il meurt à cinquante ans, malade, apaisé. J’allume les lampes, il y en a plusieurs. Il n’a jamais je crois, célibataire, parlé des femmes. La beauté des femmes. L’amour des femmes. Le corps des femmes. Les caresses. Pour bander et pénétrer, la langue de son pays utilise de belles métaphores, mais lui ne s’en sert pas. Il meurt en 1694. Trois siècles ont passé. 

Tout près de son oreille, si près que de mes lèvres je lui mouille l’oreille en parlant, je murmure, faisant éclater les consonnes, qui la font tressaillir et frissonner, l’étreignant toute chaude et câline contre moi, lui faisant sentir mon désir, et elle le sent, puisque sa main se pose là, sa main nue sur le nu de ma peau, je murmure prends-le, – ou branle-le, ce n’est pas net, il y a flottement dans les consonnes…, et elle m’empoigne, non : m’empaume, tendrement.


Bashō, quand il parle des femmes, c’est pour ne pas en parler ; lors d’une randonnée, au fond du val de Saigyō, il avise des femmes au bord d’un ruisseau, en train de laver des légumes, il écrit : Ces femmes qui lavent / des patates si j’étais Saigyō / en vers chanterais, manière de dire qu’elles l’ont ému, promeneur solitaire, mais il ne dira rien d’autre, il se pourrait que jamais main de femme ne se soit posée sur lui, que sait-il de son corps, comment sent-il quand sa verge gonfle et se dresse, son sexe debout n’a-t-il jamais visé que la pleine lune ? 


LE RESSAC DU TEMPS
Le Murmure du monde, vol. 5
éditions des Vanneaux, 2016
vient de paraître



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