samedi 10 décembre 2016

AUTRE LIASSE, chap. 16

peinture Jean Dubuffet





chapitre 16


1.
Traces ? Oui, comme celles de la mouche sur la vitre.

2.
Pendant la nuit, à l’auberge florentine, en juin 1581, Montaigne quitte sa chambre et fait transporter son matelas et ses draps dans la salle du restaurant où il s’installe sur une table, pour échapper aux punaises.

3.
Topos littéraire déjà chez Sénèque : passage du « Zibaldone » (p. 4104) où Leopardi compare notre installation dans l’existence à celle dans un lit, un lit dur et inconfortable.

Celui qui s’y couche ne peut y demeurer en repos, ne cesse de se retourner, cherche mille manières d’aplatir, d’adoucir, etc., jusqu’à ce qu’arrive l’heure du lever, sans qu’il ait pu trouver le sommeil.
Et il conclut : Telle est notre inquiétude dans l’existence, sa cause est identique : naturel et juste mécontentement de chaque état ; soins, études, etc., de tous genres pour tenter de nous y accommoder et d’adoucir un peu ce lit ; espérance de bonheur, ou du moins de repos, et mort qui sonne la réalisation de nos espoirs […e morte che previen l’effetto della speranza le traducteur allemand écrit : und der Tod, der dem Eintreffen des Erhofften zuvorkommt].

4.
Du poivre nouveau dans de vieilles soupes.

5.
Hate speech — La haine est au centre même de cette religion. Être chrétien c’est suivre Jésus. Ce que cela signifie, suivre Jésus, c’est lui-même qui l’explique : Si quelqu'un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple (Luc 14,26).

Doctrine de la haine. Et dire qu’on a pu appeler cela ‘la religion de l’amour’. Édulcoration éhontément mensongère.

Qu’on ne me demande pas de ne pas haïr cette religion de la haine.

6.
Souvent, quand les gens — alors que vous ne leur avez rien demandé — vous racontent leurs rêves, ils font de longs récits, pleins de péripéties, personnages, interpellations, rebondissements, ça fait des sortes de romans. Alors que mes rêves à moi sont aphoristiques, un ou deux brefs cadrages, l’un ou l’autre mot, et c’est déjà terminé, mise en scène d’une situation, esquisse d’une action, évocation d’un état psychique, en cinq à dix secondes. Souvent des décors originaux, pittoresques, avec la netteté de la bande dessinée — et sans référence aucune à quelque chose de repérable, Morphée a indéniablement du génie visionnaire.

Je suis tout près d’une femme, pendant que nous marchons sur le boulevard d’une grande ville, je lui fais un récit, raconte raconte, puis prononce les mots quatorzième quinzième, ce n’est pas net ce que cela désigne, avenue ou arrondissement ou étage, mais je me rends aussitôt compte que ces mots ont quelque chose de magique, ont un pouvoir envoûtant, et comme je sens que mes paroles semblent mettre la femme à ma merci, je veux me pencher sur elle, pour m’emparer en quelque sorte de son corps, mais l’ankylose caractéristique du rêve (puisque je dors…) m’empêche de bouger, et ainsi rien ne va se passer, c’est bien regrettable parce qu’il me semblait qu’elle était toute prête à se laisser faire.

7.
Non sono un Leopardi, écrit Montale à la fin de « Diario del ‘72 » dans le poème « Per finire », lascio poco da ardere, je laisse peu de chose qui brûlerait [flamberait luirait resplendirait ou même dessécherait carboniserait…], verbe assez ambigu, le traducteur Patrice Dyerval Angelini traduit, et en fait, comme souvent, un peu trop, poétisant inutilement & abusivement : mon fagot ne sera guère ardent (mais il assure que l’auteur a approuvé sa traduction).

Montale, laconique et cassant, fait savoir que, quantitativement, il ne laisse pas grand-chose, en comparaison aux milliers de pages de Leopardi, qui a laissé dit-il, bien du pain sur la planche aux futurs scoliastes.

8.
Je me souviens que, fascinés, nous contemplâmes à loisir la toison de Maria Schneider pendant que, toute nue, elle discutait avec Brando dans la cuisine.

9.
Cahier Morphée — [bribe de rêve qui soudain resurgit alors que je regarde une gravure ancienne représentant Atlas nu, une volute de la draperie qui pend à son épaule cache de justesse l’endroit de son sexe] Dans une vaste pièce, atmosphère de promiscuité, s’avance un homme [connu et que je connais — mais il ne ressemble à personne d’identifiable] [cela se passe fréquemment dans les rêves qu’on connaît quelqu’un que dans la réalité on ne connaît pas : pour sa physionomie on n’a pas d’empiriques références] moitié habillé, mais nu à partir du nombril, on voit bien l’amas verge-couilles, assez gros et rond [les hommes nus, sauf parfois en peinture, ne sont, en général, pas beaux à voir, et l’insistante présence du sexe, accentue  souvent encore la mocheté] les circonstances permettent que cela soit ainsi [ce sont des circonstances un peu exceptionnelles, peut-être une sorte de partouze, il y a donc peu de transgression] [mais rien d’érotique non plus] les autres personnages présents sont sans doute nus aussi, et aussi des femmes, mais cela n’est pas expressément visualisé.

Dürer, dans son autoportrait nu de 1509, a bien fait voir la non-beauté de l’homme explicitement sexué.

10.
Après « Dernier Tango à Paris » (1972), Bertolucci perdit en Italie pendant cinq ans ses droits civiques.


AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII

inédit



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