peinture Jean Dubuffet |
chapitre
16
1.
Traces ? Oui, comme celles
de la mouche sur la vitre.
2.
Pendant la nuit, à l’auberge
florentine, en juin 1581, Montaigne quitte sa chambre et fait transporter son
matelas et ses draps dans la salle du restaurant où il s’installe sur une
table, pour échapper aux punaises.
3.
Topos littéraire déjà chez
Sénèque : passage du « Zibaldone » (p. 4104) où Leopardi compare
notre installation dans l’existence à celle dans un lit, un lit dur et inconfortable.
Celui qui s’y couche ne peut y demeurer en repos, ne cesse de se
retourner, cherche mille manières d’aplatir, d’adoucir, etc., jusqu’à ce qu’arrive
l’heure du lever, sans qu’il ait pu trouver le sommeil.
Et il conclut : Telle est notre inquiétude dans l’existence,
sa cause est identique : naturel et juste mécontentement de chaque état ;
soins, études, etc., de tous genres pour tenter de nous y accommoder et d’adoucir
un peu ce lit ; espérance de bonheur, ou du moins de repos, et mort qui
sonne la réalisation de nos espoirs […e morte che previen l’effetto della speranza — le traducteur allemand écrit : und der Tod, der dem Eintreffen des
Erhofften zuvorkommt].
4.
Du poivre nouveau dans de
vieilles soupes.
5.
Hate speech — La haine est au
centre même de cette religion. Être chrétien c’est suivre Jésus. Ce que cela
signifie, suivre Jésus, c’est lui-même qui l’explique : Si quelqu'un
vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses
sœurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple (Luc 14,26).
Doctrine de la
haine. Et dire qu’on a pu appeler cela ‘la religion de l’amour’. Édulcoration éhontément
mensongère.
Qu’on ne me
demande pas de ne pas haïr cette religion de la haine.
6.
Souvent, quand
les gens — alors que vous ne leur avez rien demandé — vous racontent leurs rêves,
ils font de longs récits, pleins de péripéties, personnages, interpellations,
rebondissements, ça fait des sortes de romans. Alors que mes rêves à moi sont
aphoristiques, un ou deux brefs cadrages, l’un ou l’autre mot, et c’est déjà
terminé, mise en scène d’une situation, esquisse d’une action, évocation d’un
état psychique, en cinq à dix secondes. Souvent des décors originaux,
pittoresques, avec la netteté de la bande dessinée — et sans référence aucune à
quelque chose de repérable, Morphée a indéniablement du génie visionnaire.
Je suis tout
près d’une femme, pendant que nous marchons sur le boulevard d’une grande ville,
je lui fais un récit, raconte raconte, puis prononce les mots quatorzième quinzième, ce n’est pas net
ce que cela désigne, avenue ou arrondissement ou étage, mais je me rends
aussitôt compte que ces mots ont quelque chose de magique, ont un pouvoir
envoûtant, et comme je sens que mes paroles semblent mettre la femme à ma
merci, je veux me pencher sur elle, pour m’emparer en quelque sorte de son
corps, mais l’ankylose caractéristique du rêve (puisque je dors…) m’empêche de
bouger, et ainsi rien ne va se passer, c’est bien regrettable parce qu’il me
semblait qu’elle était toute prête à se laisser faire.
7.
Non sono un Leopardi, écrit Montale à la fin de « Diario del ‘72 »
dans le poème « Per finire », lascio
poco da ardere, je laisse peu de chose qui brûlerait [flamberait luirait
resplendirait ou même dessécherait carboniserait…], verbe assez ambigu, le
traducteur Patrice Dyerval Angelini traduit, et en fait, comme souvent, un peu
trop, poétisant inutilement & abusivement : mon fagot ne sera guère ardent (mais il assure que l’auteur a
approuvé sa traduction).
Montale,
laconique et cassant, fait savoir que, quantitativement, il ne laisse pas grand-chose,
en comparaison aux milliers de pages de Leopardi, qui a laissé dit-il, bien du
pain sur la planche aux futurs scoliastes.
8.
Je me souviens
que, fascinés, nous contemplâmes à loisir la toison de Maria Schneider pendant
que, toute nue, elle discutait avec Brando dans la cuisine.
9.
Cahier Morphée
— [bribe de rêve qui soudain resurgit alors que je regarde une gravure ancienne
représentant Atlas nu, une volute de la draperie qui pend à son épaule cache de
justesse l’endroit de son sexe] Dans une vaste pièce, atmosphère de
promiscuité, s’avance un homme [connu et que je connais — mais il ne ressemble
à personne d’identifiable] [cela se passe fréquemment dans les rêves qu’on connaît quelqu’un que dans la réalité on
ne connaît pas : pour sa physionomie on n’a pas d’empiriques références]
moitié habillé, mais nu à partir du nombril, on voit bien l’amas
verge-couilles, assez gros et rond [les hommes nus, sauf parfois en peinture,
ne sont, en général, pas beaux à voir, et l’insistante présence du sexe, accentue
souvent encore la mocheté] les
circonstances permettent que cela soit ainsi [ce sont des circonstances un peu
exceptionnelles, peut-être une sorte de partouze, il y a donc peu de
transgression] [mais rien d’érotique non plus] les autres personnages présents
sont sans doute nus aussi, et aussi des femmes, mais cela n’est pas
expressément visualisé.
Dürer, dans
son autoportrait nu de 1509, a bien fait voir la non-beauté de l’homme
explicitement sexué.
10.
Après « Dernier
Tango à Paris » (1972), Bertolucci perdit en Italie pendant cinq ans ses
droits civiques.
AUTRE LIASSE
Le Murmure du
monde, volume VIII
inédit
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire