dessin Pierre Aleschinski |
chapitre 95
Autre biographème, celui des lettres inutiles, feuillets compulsivement
écrits, par pression, par urgence existentielle, mais pas attendus, pas
souhaités, pas bienvenus, à peine exprimé ça doit être réprimé, ravalé,
feuillet après feuillet empêché de parvenir à destination, comme si le destin
ne permettait pas ça, et c’est effectivement ce qui se passe, le destin fait
savoir son déplaisir, et cela équivaut à un véto, injonction de te taire, ou au
moins ne pas manifester que tu te manifestes, des choses arrivent et c’est
comme si elles n’étaient pas arrivées, et les émotions qui vont avec n’ont pas
lieu d’avoir lieu, tout ce que tu ressens doit être encarapaçonné, tes vertiges
tu te les gardes, ils n’intéressent pas, agacent, incommodent, — exercice vital, c’est-à-dire mortifère, réprimer ce qui éclot,
interrompre, couper, et je respire comme si de rien n’était, je respire comme
si je respirais, je mime la respiration, et mon cœur mime d’être mon cœur,
alors qu’il est en catalepsie, et tout cela je le griffonne sur des feuillets,
que j’appelle billets, qui pourraient
s’envoler mais ne s’envolent pas, ça ne donne rien, ça ne va nulle part, ça ne
donne que la page sur le misérable biographème des lettres inutiles.
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