mercredi 30 novembre 2016

PROSERIES - chapitre 95

dessin Pierre Aleschinski



chapitre 95


Autre biographème, celui des lettres inutiles, feuillets compulsivement écrits, par pression, par urgence existentielle, mais pas attendus, pas souhaités, pas bienvenus, à peine exprimé ça doit être réprimé, ravalé, feuillet après feuillet empêché de parvenir à destination, comme si le destin ne permettait pas ça, et c’est effectivement ce qui se passe, le destin fait savoir son déplaisir, et cela équivaut à un véto, injonction de te taire, ou au moins ne pas manifester que tu te manifestes, des choses arrivent et c’est comme si elles n’étaient pas arrivées, et les émotions qui vont avec n’ont pas lieu d’avoir lieu, tout ce que tu ressens doit être encarapaçonné, tes vertiges tu te les gardes, ils n’intéressent pas, agacent, incommodent, exercice vital, c’est-à-dire mortifère, réprimer ce qui éclot, interrompre, couper, et je respire comme si de rien n’était, je respire comme si je respirais, je mime la respiration, et mon cœur mime d’être mon cœur, alors qu’il est en catalepsie, et tout cela je le griffonne sur des feuillets, que j’appelle billets, qui pourraient s’envoler mais ne s’envolent pas, ça ne donne rien, ça ne va nulle part, ça ne donne que la page sur le misérable biographème des lettres inutiles.





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