mardi 20 décembre 2016

ça rime & ça rame

peinture Paul Klee



chapitre 18

1.
Aucune argumentation d’aucun athée ne réfuterait plus efficacement la religion que ne le fait la religion elle-même. Je lis les huit premières lignes du « Catéchisme de l’Eglise catholique » : ce verbiage est un abîme d’indigence dans lequel Dieu s’engouffre pour s’y désarticuler à jamais.

Dieu, au tout début, lorsqu’il créa le ciel et la terre, avait encore une sorte de vigueur et de présence, mais après plus de vingt siècles la théologie l’a complètement démantelé et réduit à un amoncellement de syllabes.

Et il ne reste plus rien à dire. Le débat avec la théologie n’aura pas lieu : on ne discute ni ne réfute une lallation.


2.
Anthony Scaramucci, conseiller de Trump, est interviewé le 15 décembre sur CNN ; le journaliste le fait parler de l’environnement, et au mot-clé changement climatique, Scaramucci réplique que ça c’est de l’idéologie, que c’est juste une opinion qu’on peut avoir, qu’un journaliste peut avoir mais que lui-même n’a pas, et que le président élu ne va pas s’encombrer d’idéologie lorsqu’il garantira de l’air pur et de l’eau pure aux enfants américains. Mais le journaliste insiste que le consensus des savants selon lequel le changement climatique est dû à l’action humaine n’est pas une opinion, mais le résultat de recherches et de calculs : la science constate des faits indubitables et convergents. Cela n’ébranle pas Scaramucci qui réplique qu’on sait combien les savants peuvent se tromper ; la preuve : n’ont-ils pas dit pendant un certain temps que la terre était plate ? Et on a su plus tard qu’ils étaient dans l’erreur ! Et Scaramucci conclut, textuellement : People have gotten things wrong throughout the 5.500-year history of our planet… Parole de créationniste. Plutôt se pencher sur le texte sacré que s’encombrer de science. Les enfants américains sont en de bonnes mains : ils respireront de l’air purifié par les filtres de l’ignorance et de la bêtise.


3.
On m’envoie une liasse de poèmes en me demandant de dire ce que j’en pense ; je commence à lire et dès le premier vers constate que cela ne vaut rien, ça rime et ça rame et ça brame, déception amoureuse, conjuration du sort, plainte existentielle, charme rime comme depuis Corneille et Racine avec arme, puis avec larme.

Je fais quelques brouillons de réponse.

Monsieur, vous pensez que la poésie existe, et qu’elle est poétique, vous vous trompez, arrêtez d’écrire de la poésie, essayez plutôt, en quinze lignes, de décrire une boîte d’allumettes, vous serez surpris.

Monsieur, avant d’écrire de la poésie, il faut en lire. Commencez par Villon.

Monsieur, j’espère que vos vers vous font du bien et qu’ils seront contents de vous avoir comme lecteur, n’allez pas plus loin.

Mais qui suis-je pour dire des choses pareilles à ce monsieur.


4.
Il n’y a aucune peine dans le mot peine ; et pour dire un cœur brisé il ne faut pas dire brisé.


5.
Georg Forster, né en 1754 à Danzig, avait, de 1772 à 1775, accompagné Cook lors de son deuxième périple autour de la terre et en avait fait un reportage qui l’a rendu célèbre. En 1784 il devient professeur de sciences naturelles à Vilnius, et pendant cette année-là il écrit un journal qui sera publié en 1914.

Dans ce journal, à la date du 28 juin, il écrit comment à 4 heures il prit un bain et que la douche était très agréable, Touche sehr angenehm, ensuite il se mit au lit et lut dans « Introduction à la Minéralogie » de Busson, puis ces mots : und mich sehr vergesse (et m’oublie beaucoup) et il met entre parenthèses le signe ⊙, qui signifie masturbation ― peu après il se promène dans le jardin, höchst unzufrieden mit mir selbst (très mécontent de moi), bös über das Geschehene (en colère sur ce qui vient d’arriver) und die Strafe ahnend (et me doutant de la punition).


6.
A Karl Ludwig Knebel qui avait décelé de l’immoralité dans les « Wahlverwandschaften », Goethe répliqua : Je ne l’ai pas écrit pour vous, mais pour les jeunes filles…


7.
Faites entrer les Allemands, fait Clemenceau ― Salle des glaces à Versailles, le 28 juin 1919, où mille personnes sont rassemblées, diplomates, militaires, notables, presse ; les deux représentants allemands entrent, et dans le silence, sur le parquet, entre les tapis, on entend claquer leurs pas, ils sont très pâles, et n’ont pas l’air d’émissaires d’un brutal militarisme, écrit Harold Nicholson, qui fait partie de la délégation anglaise, et il ajoute : l’un est mince et a les paupières rougies, deuxième violon dans un orchestre de province, l’autre a un visage lunaire et souffre, ils signent. Dehors canonnade, et cris de joie. Puis champagne aux frais du contribuable. Champagne misérable, écrit Nicholson.

8.
Résolution pour le lendemain ― Tolstoï, à Starogladkovskaia, en juin 1853 : Demain écrire du matin au soir et tout mettre en œuvre pour coucher avec une fille.


9.
Ravissement de la lecture : lire des choses que j’aurais pu / dû / voulu écrire.

Et même parfois : un tour, une phrase, un alinéa que j’ai écrits, presque tels quels.


10.
Sublime chœur de la Chapelle Sixtine : adolescents castrés qui chantent la gloire du Seigneur ― et prêtent leurs fesses aux prélats.



AUTRE LIASSE
chapitre 18
inédit



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