vendredi 23 décembre 2016

si tu savais...

peinture Léon Spillaert



Le journal de celui qui, jour après jour, écrivait à la fin de sa quotidienne inscription : heute trocken, il avait arrêté de boire, comme Coleridge en 1803, ce journal-là, je n’ai pas à l’écrire, « Gebete in die Gottesferne », j’écris autre chose, j’écris des lettres d’amour qui ne sont pas des lettres d’amour, j’écris : si tu savais…, tu ne sauras jamais…, le journal de celui qui jour après jour, observait le ciel, le passage des nuages, et notait scrupuleusement ce qu’il voyait, à grand renfort de lexique & de syntaxe, je pourrais écrire, comme Hopkins, jour après jour, mes observations du ciel, mais j’écris autre chose, j’écris jour après jour des lettres d’amour qui n’en sont pas, j’écris : si tu savais…, tu ne sauras jamais…, je pourrais écrire un journal rempli de lettres d’amour qui n’en sont pas, mais j’écris autre chose, je n’écris pas de journal, je pourrais écrire que je suis paralysé & contaminé, mais je ne suis pas contaminé ni paralysé, je me saoule avec le whisky le plus cher du marché, heute nicht trocken, je compte les nuages, aujourd’hui cent dix-neuf, je colorie des bilboquets, plie des feuillets en forme de barque et de goéland, je profère presque sans voix des bribes de phrase, genre si tu savais…, je ne prends aucune résolution d’arrêter de boire, demande à mes bilboquets bariolés de m’inspirer de mélancoliques lettres d’amour qui n’en sont pas, et mes lettres je les plie et en fais des petites barques qui caracolent au gré les rigoles.



PROSERIES
chapitre 97
inédit



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