peinture Jean Dubuffet |
Comme si cela importait,
j’écris comme si cela importait que j’écrive. Et cela importe. Et c’est vital.
Et inutile. La seule chose qu’il importerait d’écrire, ce seraient des lettres.
Alors qu’écrire des lettres n’est pas vraiment écrire. Écrire des lettres qui m’importent.
A une personne qui m’importe. Une personne qui m’importe plus que tout. Une
personne à qui je n’importe pas, presque pas. Et cela crée une tension
vertigineuse. Ouvre l’espace d’un néant. Dans lequel s’engouffre la vie. Le
presque tout de la vie est phagocyté par ce néant. J’en suis réduit à la seule
respiration. Aux seuls battements du cœur. Joie de respirer, élémentaire joie
de vivre. Au bord de l’abîme des souvenirs. La vie c’est les souvenirs de la
vie. Je suis parce que j’ai été, par ce
que j’ai été. C’est le genre de réflexions que je retrouve, avec une sorte
de sombre ravissement, chez Torganov. Des mots qui disent la vie. La vie c’est
la remémoration de la vie, disait Torganov. Ce qui reste de la vie, c’est ce
qui reste d’une femme dans ma vie. Rien. Je la vois, je la regarde, elle me
regarde. Et rien. Elle ne me dit rien. Ou plutôt, ce qu’elle me dit, sans qu’elle
le dise, signifie : tu ne me signifies plus rien — et je ne te dirai jamais ce que tu as été
pour moi. Cela déclenche mes mots. C’est si vital. Et si inutile. Et la lettre
ne sera pas écrite.
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