mercredi 14 décembre 2016

PROSERIES, chap. 95

peinture Jean Dubuffet




Comme si cela importait, j’écris comme si cela importait que j’écrive. Et cela importe. Et c’est vital. Et inutile. La seule chose qu’il importerait d’écrire, ce seraient des lettres. Alors qu’écrire des lettres n’est pas vraiment écrire. Écrire des lettres qui m’importent. A une personne qui m’importe. Une personne qui m’importe plus que tout. Une personne à qui je n’importe pas, presque pas. Et cela crée une tension vertigineuse. Ouvre l’espace d’un néant. Dans lequel s’engouffre la vie. Le presque tout de la vie est phagocyté par ce néant. J’en suis réduit à la seule respiration. Aux seuls battements du cœur. Joie de respirer, élémentaire joie de vivre. Au bord de l’abîme des souvenirs. La vie c’est les souvenirs de la vie. Je suis parce que j’ai été, par ce que j’ai été. C’est le genre de réflexions que je retrouve, avec une sorte de sombre ravissement, chez Torganov. Des mots qui disent la vie. La vie c’est la remémoration de la vie, disait Torganov. Ce qui reste de la vie, c’est ce qui reste d’une femme dans ma vie. Rien. Je la vois, je la regarde, elle me regarde. Et rien. Elle ne me dit rien. Ou plutôt, ce qu’elle me dit, sans qu’elle le dise, signifie : tu ne me signifies plus rien et je ne te dirai jamais ce que tu as été pour moi. Cela déclenche mes mots. C’est si vital. Et si inutile. Et la lettre ne sera pas écrite.





.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire