dessin Ekşioğlu Gürbüz Doğan |
Je dis : Je voulais encore te dire, et arrivé au double point que je
mets mentalement, pour aménager un instant de pause, ce n’est pas si facile de
dire ce que je veux dire, et je reprends mon souffle, et ne dis rien, rien ne
sort, l’instant se prolonge, la pause dure,
le double point clignote, et je ne dis rien, aucun mot ne sort, et même
si un mot était sorti, tu ne l’aurais pas entendu, puisque tu n’es pas là, et
si tu avais été là, je le sais, tu aurais préféré que je ne dise rien, tu
appréhendes, je le sais, les mots que je pourrais encore dire, ça t’arrange,
même si tu n’es pas là, que je ne dise plus rien, plus tard j’aurais peut-être
pu te rapporter ce que je voulais dire et n’ai pas réussi à dire, je t’aurais
rapporté des paroles non dites, ce qui est absurde, on peut pas répéter ce qui
ne s’est pas dit, ces paroles inexistantes m’appesantissent la système,
spectres de paroles, si je mourais, là, je les emmènerais dans le cercueil,
puis elles se décomposeraient avec moi, et tu ne sauras jamais quelles étaient
les dernières paroles que je voulais encore te dire, mais tu diras sans doute :
je t’ai assez entendu.
PROSERIES
chapitre quatre-vingt-huitième
inédit
.
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