Il y a pourtant du sérieux au fond de la
farce, pourvu qu’on ne se laisse pas perturber par l’impassibilité du paysage
qui n’a aucun sens du paradoxe, qui ne pense qu’à faire vallonner ses collines,
aligner ses pieds de vigne, et un ciel capricieux qui change sa charge de
nuages tous les quarts d’heure, alternant sérénité et tragédie, les personnages
du jeu en sont réduits à se fier à leur seul sens de l’improvisation, il n’y a
aucun scénario, le boulot du scénariste a été interrompu par une crise
cardiaque, le roi ne sait pas s’il est le roi, le brigand ne sait pas s’il est
le brigand, les comparses ne savent pas qui d’entre eux sera peut-être soudain
la vedette, on finira bien par enchaîner les péripéties qui se mettront en rang
pour fignoler à leur guise une plausible romance, c’est entendu que le montage
sera décisif, le brigand, dans la vie, est l’amant de la fille du roi, il dit :
ma princesse, à aucun moment ils ne se sentent portés par le paysage, comme si
le paysage ne permettait pas le déploiement de la farce prévue, aucun compromis
ne semble possible, le metteur en scène, court-circuitant le brigand courtise
la princesse, qui après quelques hésitations finit par capituler, le metteur en
scène la saute vite fait derrière un paravent, subtile allusion à un roman de
Voltaire, le paysage est toujours occupé à aligner ses pieds de vigne, l’histoire,
faute de scénario ne sera jamais racontée, trois jours plus tard la troupe se
réunit une dernière fois devant la tombe du scénariste.
"Kafka à la Fenice", improbables péripéties - chapitre 54
inédit
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