peinture Léon Spillaert
Le journal de celui qui,
jour après jour, écrivait à la fin de sa quotidienne inscription : heute trocken, il avait arrêté de boire,
comme Coleridge en 1803, ce journal-là, je n’ai pas à l’écrire, « Gebete
in die Gottesferne », j’écris autre chose, j’écris des lettres d’amour qui
ne sont pas des lettres d’amour, j’écris : si tu savais…, tu ne sauras jamais…, le journal de celui qui jour
après jour, observait le ciel, le passage des nuages, et notait scrupuleusement
ce qu’il voyait, à grand renfort de lexique & de syntaxe, je pourrais
écrire, comme Hopkins, jour après jour, mes observations du ciel, mais j’écris autre
chose, j’écris jour après jour des lettres d’amour qui n’en sont pas, j’écris :
si tu savais…, tu ne sauras jamais…, je
pourrais écrire un journal rempli de lettres d’amour qui n’en sont pas, mais j’écris
autre chose, je n’écris pas de journal, je pourrais écrire que je suis paralysé
& contaminé, mais je ne suis pas contaminé ni paralysé, je me saoule avec
le whisky le plus cher du marché, heute
nicht trocken, je compte les nuages, aujourd’hui cent dix-neuf, je colorie
des bilboquets, plie des feuillets en forme de barque et de goéland, je profère
presque sans voix des bribes de phrase, genre si tu savais…, je ne prends aucune résolution d’arrêter de boire, demande
à mes bilboquets bariolés de m’inspirer de mélancoliques lettres d’amour qui n’en
sont pas, et mes lettres je les plie et en fais des petites barques qui
caracolent au gré les rigoles.
PROSERIES
chapitre 97
inédit
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