peinture Pierre Aleschinski |
chapitre
13
1.
J’étais sûr que cela n’arriverait
pas. J’étais sûr que cela ne pouvait pas arriver. Il n’était pas possible que
cela arrive. Pas pensable. Pas imaginable. Et maintenant ? Il va fourrer
sa grosse grasse patte sous la robe de la Liberté.
2.
Pas important, la page que je ne
lis pas, n’ai pas lue, et peut-être même ne lirai jamais. Importe, et
infiniment, la page que je lis aujourd’hui, ici, maintenant, en ce moment — je
la lis comme si c’était la dernière page que j’aurais lue.
3.
Ne laisse pas, ne laisse jamais
passer un mot que tu ne connais pas, ne laisse pas passer zibeline — tu seras merveilleusement récompensé par l’image qui
jaillira.
4.
Détourner le regard des choses
laides & mauvaises du présent et du passé, et pendant qu’on détourne le
regard on se demande si on a le droit de le détourner et on donne son attention
aux trois fragiles tiges fleuries d’un saint-paulia ou à l’image dérobée qui
fait voir la beauté raffinée & fascinante d’une vulve mi-ouverte.
5.
Étoilement autour de moi, toutes
les directions dans lesquelles je peux étendre la main pour saisir un livre, le
ramener dans le réseau, une lecture appelle l’autre, d’une page de Tolstoï
passer à une page de Julien Green, puis à Pascal, puis à Marc Aurèle, autant de
petites voutes où s’abriter, points d’orgue où demeurer, parenthèses où
respirer en étant conscient qu’on respire, et que la respiration, d’instant en instant,
est provisoire & transitoire, que la respiration, d’un moment à l’autre
peut s’arrêter, et c’est un plaisir intense que de respirer. Et voici une page
de Brantôme.
6.
Was
ist der Mensch ? — Immanuel Kant
7.
Comment ils ont retiré du lac le
cadavre du roi Louis II, suicidé, puis le cadavre de son surveillant Gudden,
auquel le roi, tenant à son suicide, avait crevé un œil et déchiré le visage
avec ses ongles.
8.
Ses amantes, le duc d’Alençon
(1555-1584) les faisait s’étendre toutes nues sur un drap de taffetas noir,
afin que, écrit Brantôme, leur blancheur
et délicatesse de chair parust bien mieux parmy le noir. Aussi préférait-il
qu’elles eussent la toison bien fournie et bien sombre, afin qu’on ne vît
encore rien de la secrète fente, qu’elles ne révéleraient, lumineuse, rosâtre
et luisante, qu’au moment d’opérer l’indécente abduction des cuisses.
9.
Face à la fenêtre je suis assis,
face aux plantes sur le rebord, plusieurs orchidées blanches et une amaryllis,
éclose depuis trois jours, rutilante trompétante, et deux roseaux, épais
faisceaux de tiges, racines baignant dans l’eau, puis au-delà de la fenêtre, la
terrasse avec des dizaines de plantes, dont quelques-unes fleurissent encore,
un peu exténuées, il n’a pas encore gelé, le ginkgo a perdu toutes ses feuilles
jaunes, l’érable du Japon a perdu toutes ses feuilles rouges, et au-delà du mur
de la terrasse, la colline avec le verger, la platebande potagère du voisin,
puis plus haut, plus loin, la forêt où reste encore la moitié des feuilles,
vertes brunes rousses jaunes, et à la lisière de la forêt l’alignement des
vignes jaunies, dépouillées de leurs fruits, et au-dessus, le ciel changeant, nuages
gris, troués, à travers lesquels passent de temps en temps des rayons de soleil
— face à cette fenêtre, chaque jour je suis assis, regardant chaque jour le
même ciel.
10.
Dans le cahier
« Morphée » (volume XII) où j’écris mes rêves, la page de gauche est
réservée aux commentaires et tentatives d’interprétation et aussi à la
désignation des ‘Tagesreste’ marqués TR.
Apparition de Dg** dont j’avais
été autrefois très malheureusement très amoureux. Si longtemps après, la voilà
revenue. Et revenue aussi, semble-t-il, sur ses refus. Elle évolue dans une
proximité assez transgressive, envoie des signaux. Comme pour me tester.
N’attendant pas d’initiative de ma part. Je suis pris de court. Puis sa main
descend le long de moi, goes down on my
dick, comme dans « Death Car ». Juste ce geste que rien
n’annonçait. Plus tard, sur la large couche, à même le plancher, alors que ce
n’est pas encore l’heure de se coucher, elle vient se recroqueviller à
l’endroit des oreillers, dans une pose très étudiée, très esthétique, un po klimtemente, je vois son dos nu,
je suis surpris étonné perplexe, mais ni désireux ni excité — dans mon rêve, je
n’ai pas de bite, sauf dans son fantasme à elle. Dans la rubrique TR je
note : regardant des images de femmes nues, j’en vois une qui lui
ressemble, debout, svelte, un peu diaphane, princesse qui fait voir son corps, mais
sans ostentation. Et maintenant elle revient, avec une sorte d’audace, comme si
sur le tard elle avait décidé de reléguer ses refus, ses minauderies négatives,
traumatisantes, elle envoie des signaux d’offrande, allant jusqu’à se
déshabiller, sans que je le lui demande. Je reste comme incrédule, pas chaud,
mais échaudé.
Et la question va rester en
suspens : L’homme, résiste-t-il à la femme nue… ? Faudrait relire Julius
Evola : « La métaphysique du sexe ». En tout cas continuer dans
Groddeck. Pas Lacan, il fait chier.
AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit
.
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