samedi 12 novembre 2016

AUTRE LIASSE, chap. 13

peinture Pierre Aleschinski



chapitre 13



1.
J’étais sûr que cela n’arriverait pas. J’étais sûr que cela ne pouvait pas arriver. Il n’était pas possible que cela arrive. Pas pensable. Pas imaginable. Et maintenant ? Il va fourrer sa grosse grasse patte sous la robe de la Liberté.

2.
Pas important, la page que je ne lis pas, n’ai pas lue, et peut-être même ne lirai jamais. Importe, et infiniment, la page que je lis aujourd’hui, ici, maintenant, en ce moment — je la lis comme si c’était la dernière page que j’aurais lue.

3.
Ne laisse pas, ne laisse jamais passer un mot que tu ne connais pas, ne laisse pas passer zibeline — tu seras merveilleusement récompensé par l’image qui jaillira.

4.
Détourner le regard des choses laides & mauvaises du présent et du passé, et pendant qu’on détourne le regard on se demande si on a le droit de le détourner et on donne son attention aux trois fragiles tiges fleuries d’un saint-paulia ou à l’image dérobée qui fait voir la beauté raffinée & fascinante d’une vulve mi-ouverte.

5.
Étoilement autour de moi, toutes les directions dans lesquelles je peux étendre la main pour saisir un livre, le ramener dans le réseau, une lecture appelle l’autre, d’une page de Tolstoï passer à une page de Julien Green, puis à Pascal, puis à Marc Aurèle, autant de petites voutes où s’abriter, points d’orgue où demeurer, parenthèses où respirer en étant conscient qu’on respire, et que la respiration, d’instant en instant, est provisoire & transitoire, que la respiration, d’un moment à l’autre peut s’arrêter, et c’est un plaisir intense que de respirer. Et voici une page de Brantôme.

6.
Was ist der Mensch ? — Immanuel Kant

7.
Comment ils ont retiré du lac le cadavre du roi Louis II, suicidé, puis le cadavre de son surveillant Gudden, auquel le roi, tenant à son suicide, avait crevé un œil et déchiré le visage avec ses ongles.

8.
Ses amantes, le duc d’Alençon (1555-1584) les faisait s’étendre toutes nues sur un drap de taffetas noir, afin que, écrit Brantôme, leur blancheur et délicatesse de chair parust bien mieux parmy le noir. Aussi préférait-il qu’elles eussent la toison bien fournie et bien sombre, afin qu’on ne vît encore rien de la secrète fente, qu’elles ne révéleraient, lumineuse, rosâtre et luisante, qu’au moment d’opérer l’indécente abduction des cuisses.

9.
Face à la fenêtre je suis assis, face aux plantes sur le rebord, plusieurs orchidées blanches et une amaryllis, éclose depuis trois jours, rutilante trompétante, et deux roseaux, épais faisceaux de tiges, racines baignant dans l’eau, puis au-delà de la fenêtre, la terrasse avec des dizaines de plantes, dont quelques-unes fleurissent encore, un peu exténuées, il n’a pas encore gelé, le ginkgo a perdu toutes ses feuilles jaunes, l’érable du Japon a perdu toutes ses feuilles rouges, et au-delà du mur de la terrasse, la colline avec le verger, la platebande potagère du voisin, puis plus haut, plus loin, la forêt où reste encore la moitié des feuilles, vertes brunes rousses jaunes, et à la lisière de la forêt l’alignement des vignes jaunies, dépouillées de leurs fruits, et au-dessus, le ciel changeant, nuages gris, troués, à travers lesquels passent de temps en temps des rayons de soleil — face à cette fenêtre, chaque jour je suis assis, regardant chaque jour le même ciel.

10.
Dans le cahier « Morphée » (volume XII) où j’écris mes rêves, la page de gauche est réservée aux commentaires et tentatives d’interprétation et aussi à la désignation des ‘Tagesreste’ marqués TR.

Apparition de Dg** dont j’avais été autrefois très malheureusement très amoureux. Si longtemps après, la voilà revenue. Et revenue aussi, semble-t-il, sur ses refus. Elle évolue dans une proximité assez transgressive, envoie des signaux. Comme pour me tester. N’attendant pas d’initiative de ma part. Je suis pris de court. Puis sa main descend le long de moi, goes down on my dick, comme dans « Death Car ». Juste ce geste que rien n’annonçait. Plus tard, sur la large couche, à même le plancher, alors que ce n’est pas encore l’heure de se coucher, elle vient se recroqueviller à l’endroit des oreillers, dans une pose très étudiée, très esthétique, un po klimtemente, je vois son dos nu, je suis surpris étonné perplexe, mais ni désireux ni excité — dans mon rêve, je n’ai pas de bite, sauf dans son fantasme à elle. Dans la rubrique TR je note : regardant des images de femmes nues, j’en vois une qui lui ressemble, debout, svelte, un peu diaphane, princesse qui fait voir son corps, mais sans ostentation. Et maintenant elle revient, avec une sorte d’audace, comme si sur le tard elle avait décidé de reléguer ses refus, ses minauderies négatives, traumatisantes, elle envoie des signaux d’offrande, allant jusqu’à se déshabiller, sans que je le lui demande. Je reste comme incrédule, pas chaud, mais échaudé.

Et la question va rester en suspens : L’homme, résiste-t-il à la femme nue… ? Faudrait relire Julius Evola : « La métaphysique du sexe ». En tout cas continuer dans Groddeck. Pas Lacan, il fait chier.



AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit





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