samedi 26 novembre 2016

AUTRE LIASSE - chap. 15

peinture Pierre Aleschinski




chapitre 15

1.
Diagramme de vie : le saintpaulia, dicotylédone gamopétale, sur ma table de travail. Avait fleuri début mai, puis de nouveau fin juillet ; vient de refleurir fin octobre. Sous mes yeux jour après jour. Il n’y a pas d’autre éloge de la vie.

2.
Spéculation qui s’était faite à propos d’Averroès, puis beaucoup plus tard à propos de Kant : si jamais leur membre a été dans la bouche d’une femme.

3.
Il dit : I am a metaphysical poet.

4.
Comme des tréfonds d’un sombre étang, remontent des bulles à la surface, ramenant syllabes d’antan, ramenant Domine non sum dignus ut intres sub tectum meum / Sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea [‘Seigneur, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit mais dis seulement un mot et mon âme sera guérie’]. Prière que nous priions avant la communion.

Cette prière du toit et de la guérison provient d’un épisode dans Matthieu VIII où un centurion vient demander à Jésus de guérir son fils atteint de paralysie et souffrant atrocement. Et Jésus répond spontanément qu’il va aller le guérir. C’est à ce moment-là que le centurion prononce les fameux mots — sauf qu’au lieu de mon âme il dit mon fils. Episode sublime. Paroles sublimes.

Pour moi, le et sanabitur anima mea est, dans une bulle, revenu à la surface, quand une personne dont le silence m’avait si longtemps suffoqué, me dit quelques mots, tantum dic verbo, qui firent grand bien à mon âme.

5.
Le dictionnaire on-line « EUdict », latin/anglais que je consulte régulièrement donne pour vulva : womb (particularly that of a sow).

6.
Manège de la vie… Retour du même, encore & encore, comme les fleurs, comme les oiseaux migrateurs, comme les saisons. Tout revient, tout renait. Et moi aussi. Alors que l’existence est linéaire. Et droit dans le mur.
On ne vit, léopardiennement, que grâce à la douce magie des illusions.

7.
Qu’est-ce que ça te fait penser quand tu te regardes dans le miroir ? C’est quoi ce visage que les autres voient ? Ton regard, qu’est-ce qu’il exprime ? Et ta bouche ?

Tu n’en penses rien. Tu pourrais t’amuser à te déprécier, avec narcissique mauvaise foi. Pointer ta native mocheté. Au lieu de ça, tu te souviens d’un moment précis où une femme aimée, un jour, te regarda. Tu te souviens de son sourire à ce moment-là. La vie, c’est des millions de moments. Ce moment-là était, peut-être, dans la somme de tous les moments, le plus beau moment de ta vie.

8.
La théologie d’Hitler, verbatim. Dans un entretien de juin 1926, que Goebbels rapporte dans son journal, il dit : Dieu nous a donné dans notre combat [‘in unserem Kampf’] sa grâce dans une mesure surabondante [‘in überreichem Maβe’] ; comme plus beau cadeau il nous accorde la haine de nos ennemis que nous haïssons de même et de tout cœur.

9.
Je (me) le fais de temps en temps, avec une sorte d’enthousiasme, c’est une si bonne chose, et il faut le faire aussi longtemps que ça fonctionne, et ça fonctionne encore si bien. — Winfrid Zermatt (1899-1975) dans une lettre du 23 novembre 1974 à Georges Haldas

10.
C’est une si bonne chose, écrire, c’est presque rien, mais ce n’est pas rien. J’en ai besoin. C’est vital. Comme tout un chacun, je suis, banalement, voué à la mort. Tout ce que j’ai fait, tout ce que je suis, est voué à la disparition. Mais pas une disparition totale, sans traces. C’est une pensée doucement parano. Quelques pages. Quelques livres. Et quelques personnes à qui il arrivera de s’y pencher. Dans vingt, dans quarante ans. C’est mon aere perennius, doucement pathétique. Et c’est assez. Je ne suis pas une blatte.


AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII

inédit



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