peinture Pierre Aleschinski |
chapitre 15
1.
Diagramme
de vie : le saintpaulia, dicotylédone gamopétale, sur ma table de travail.
Avait fleuri début mai, puis de nouveau fin juillet ; vient de refleurir
fin octobre. Sous mes yeux jour après jour. Il n’y a pas d’autre éloge de la
vie.
2.
Spéculation
qui s’était faite à propos d’Averroès, puis beaucoup plus tard à propos de Kant :
si jamais leur membre a été dans la bouche d’une femme.
3.
Il dit :
I am a metaphysical poet.
4.
Comme
des tréfonds d’un sombre étang, remontent des bulles à la surface, ramenant
syllabes d’antan, ramenant Domine non sum
dignus ut intres sub tectum meum / Sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea [‘Seigneur,
je ne mérite pas que tu entres sous mon toit mais dis seulement un mot et mon
âme sera guérie’]. Prière que nous priions avant la communion.
Cette
prière du toit et de la guérison provient d’un épisode dans Matthieu VIII où un
centurion vient demander à Jésus de guérir son fils atteint de paralysie et souffrant atrocement. Et Jésus répond
spontanément qu’il va aller le guérir. C’est à ce moment-là que le centurion
prononce les fameux mots — sauf qu’au lieu de mon âme il dit mon fils. Episode
sublime. Paroles sublimes.
Pour
moi, le et sanabitur anima mea est,
dans une bulle, revenu à la surface, quand une personne dont le silence m’avait
si longtemps suffoqué, me dit quelques mots, tantum dic verbo, qui firent grand bien à mon âme.
5.
Le
dictionnaire on-line « EUdict », latin/anglais que je consulte
régulièrement donne pour vulva :
womb (particularly that of a sow).
6.
Manège
de la vie… Retour du même, encore & encore, comme les fleurs, comme les
oiseaux migrateurs, comme les saisons. Tout revient, tout renait. Et moi aussi.
Alors que l’existence est linéaire. Et droit dans le mur.
On ne
vit, léopardiennement, que grâce à la douce magie des illusions.
7.
Qu’est-ce
que ça te fait penser quand tu te regardes dans le miroir ? C’est quoi ce
visage que les autres voient ? Ton regard, qu’est-ce qu’il exprime ?
Et ta bouche ?
Tu n’en
penses rien. Tu pourrais t’amuser à te déprécier, avec narcissique mauvaise
foi. Pointer ta native mocheté. Au lieu de ça, tu te souviens d’un moment
précis où une femme aimée, un jour, te regarda. Tu te souviens de son sourire à
ce moment-là. La vie, c’est des millions de moments. Ce moment-là était,
peut-être, dans la somme de tous les moments, le plus beau moment de ta vie.
8.
La
théologie d’Hitler, verbatim. Dans un entretien de juin 1926, que Goebbels
rapporte dans son journal, il dit : Dieu
nous a donné dans notre combat [‘in unserem Kampf’] sa grâce dans une mesure surabondante [‘in überreichem Maβe’] ; comme plus beau cadeau il nous accorde la
haine de nos ennemis que nous haïssons de même et de tout cœur.
9.
Je (me) le fais de temps en temps, avec une
sorte d’enthousiasme, c’est une si bonne chose, et il faut le faire aussi
longtemps que ça fonctionne, et ça fonctionne encore si bien. — Winfrid Zermatt (1899-1975) dans une lettre du 23 novembre
1974 à Georges Haldas
10.
C’est
une si bonne chose, écrire, c’est presque rien, mais ce n’est pas rien. J’en ai
besoin. C’est vital. Comme tout un chacun, je suis, banalement, voué à la mort.
Tout ce que j’ai fait, tout ce que je suis, est voué à la disparition. Mais pas
une disparition totale, sans traces. C’est une pensée doucement parano.
Quelques pages. Quelques livres. Et quelques personnes à qui il arrivera de s’y
pencher. Dans vingt, dans quarante ans. C’est mon aere perennius, doucement pathétique. Et c’est assez. Je ne suis
pas une blatte.
AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit
.
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