peinture de Pierre Aleschinski |
mardi 24 novembre 2015
prière du soir
chapitre
XLI
1.
Au petit matin d’une maussade journée de novembre, une
lumineuse page dans les « Épîtres » d’Horace, aucun maître ne me dicte où aller, je vais où le temps me porte, hôte
passager…
Combien, aux « Épîtres » de saint Paul, je
préfère celles d’Horace ; le Romain n’est à aucun moment excité, exalté,
excessif, et s’il y a des exhortations
dans ses écrits, elles concernent l’art de vivre et non pas la terreur d’être
damné pour l’éternité.
Horace écrit dans la deuxième moitié du dernier siècle
avant le déferlement de la
neurasthénie chrétienne et de ses morbides
vertiges métaphysiques.
2.
La licorne,
dite aussi unicorne, oublie toute sa férocité et sa nature sauvage à cause de
son intempérance qu’elle ne sait dominer : son goût pour les demoiselles
est si vif, que, mettant de côté tout soupçon, elle s’approche de telle jeune
fille assise, et s’endort dans son giron ; et les chasseurs alors peuvent
s’en emparer. — sur un feuillet de Léonard de Vinci
3.
Le 14 avril 2000, au Tribunal international de La
Haye, le témoin O., raconte comment, en juillet 1995, à 17 ans, au bord d’un
champ près de Srebrenica, les soldats serbes lui demandent de se déshabiller,
ses habits lui collent à la peau à cause de l’urine desséchée, le champ est
jonché de cadavres, il est debout, avec d’autres hommes, quelques soldats ont
pris position derrière eux, on leur donne l’ordre de se coucher, et aussitôt la
fusillade commence. Un peu plus tard, quand silence s’est fait, le garçon lève
la tête et aperçoit parmi les nouveaux cadavres un autre survivant, il rampe
vers lui et tend ses mains ligotées, et l’autre, avec ses dents défait la
corde. L’homme porte un t-shirt et une chemise qu’il enlève pour la déchirer en
bandelettes : il panse la blessure de O. qui peu après s’endort sur les
genoux de l’homme, car il n’avait plus dormi de puis très très longtemps. Ils
restent ainsi jusqu’au matin. Puis l’homme le réveille et lui demande : où
allons-nous ? Et le garçon répond : Je ne sais pas.
4.
Mon amante, en
allemand se dit meine Geliebte, ce
qui signifie, et rien de plus que : mon
aimée.
L’amant (latin : amans, celui qui aime) ne devrait jamais dire mon amante — qu’est-ce qui l’autorise à dire d’une femme qu’elle
l’aime ?
5.
A lire ce que Léonard écrit sur les animaux, on est
surpris de constater que le plus souvent il se contente de répéter ce que l’on
pouvait lire dans les encyclopédies et compilations médiévales où le monde
animal est conçu de manière mythique et symbolique. Ce n’est pas dans ce
domaine-là que Léonardo se montre pionnier, aucune empirie, aucune recherche —
au point que la médiévale Hildegarde de Bingen, pour ce qui est des animaux,
semble souvent bien plus pertinente que le génial savant de la Renaissance.
6.
A Karachi, le 1er février 2002, Khalid Sheikh
Mohammed, tranche la gorge du journaliste Daniel Pearl, ensuite le décapite,
plusieurs hommes sont présents à la scène qu’ils documentent en vidéo, ils
coupent le cadavre en dix morceaux, creusent un trou dans le sol de l’endroit
et enfouissent la dépouille dépecée. Ensuite ils lavent le plancher plein de
sang pour pouvoir étendre leurs tapis. Et ils font la prière du soir.
7.
Une semaine après les attentats, une jeune femme, à la
tombée du jour, devant le Bataclan tient devant elle une pancarte sur laquelle
elle a marqué : « Je suis musulmane — Daech ne l’est pas ». On
la voit discuter avec d’autres jeunes femmes, et à la fin, larmes aux yeux,
elle leur demande : un câlin.
8.
Mourir : ire
ad plures, disaient les Latins, aller là où sont la plupart.
9.
Comme savant et philosophe, Léonard de Vinci n’a
jamais rien publié, mais laisse des milliers de feuillets, en partie épars, en
partie réunis en liasses et fascicules, papiers éparpillées en Italie, en
France, en Angleterre, en Espagne, et même aux États-Unis. Des tentatives ont
été faites de d’ordonner le fatras de ces notes en les regroupant
thématiquement. Ainsi, en rassemblant les fragments sur les animaux, on peut
établir un bestiaire de Léonard.
10.
Qu’est-ce qui pouvait faire croire à l’amant que la
femme qu’il aimait l’aimait ?
Quand elle te dit je
t’aime, cela ne compte que pour la fraction de seconde où elle le dit. Pas
au-delà. Jamais au-delà.
LA LIASSE
DES DIX MILLE FRAGMENTS
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