FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU
Fragment 11 289 — Au Paradis qui
existe maintenant depuis deux mille ans, les bienheureux Pensionnaires passent
leur temps, euh, je veux dire, leur éternité dans une tranquillité, une
sérénité, parfois, je dois dire, un peu à la limite d’une sorte de béate
torpeur, — bref, ils se reposent à fond et pour de bon.
A une exception près : la Sainte
Vierge.
Depuis quelques décennies, elle n’arrête
de s’agiter. On entend parfois chuchoter
dans les célestes couloirs, d’un ton gentiment narquois : « elle a
encore fait une de ses descentes… » En général, pour ce genre d’escapades,
elle met sa robe bleue.
Les mortels, en bas sur Terre, appellent
ça des apparitions ; depuis le
XIXe siècle ils en ont répertorié 2400 ; un de leurs scribes, l’abbé René
Laurentin, dans un gros livre, sur mille quatre cent vingt-six pages en a fait le
catalogue scrupuleux, avec tous les détails toponymiques, chronologiques, circonstanciels.
Le plus souvent, elle va voir des enfants,
de préférence illettrés — et ces enfants ensuite racontent aux adultes ce que la
Vierge leur a dit.
Les adultes sont impressionnés, construisent
des basiliques et organisent des pèlerinages lors desquels ils font chanter des
cantiques et mettent en place des étals avec des bougies, des chapelets, des bouteilles
d’eau bénite et des statuettes de la Vierge en robe bleue.
Avec Paul, Pierre et Jésus, entre nous en
petit cercle, on ne parle jamais de ces choses-là, ça ne les intéresse pas.
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