Rogier van der Weyden, triptyque du Jugement dernier, détail, vers 1452 |
samedi 28 novembre 2015
pourquoi as-tu écrit ça?
chapitre
XLIV
En Italie, graffitis souvent vus, moins obscènes que
métaphysiques : C’è Dio [Dieu
est — ou : il y a Dieu].
Ce printemps-là [1986], j’écrivais « Angle mort ».
Les framboises sur la colline pourrissaient, nous n’y touchions pas. Ma femme
était malade depuis plus d’un an. L’avenir ? C’était les framboises
interdits. C’était l’angoisse de chaque instant. J’hivernais dans ma cambuse en
plein été, avec mes provisions de petits pois et de sucre. — (texte retrouvé, 18 05 1995)
Un axiome fondamental du discours théologique : Dieu EST par la nécessité de son être. Cela
ne veut rien dire, mais c’est un puissant moteur de la spéculation, et cela
remplit des volumes, dizaines de milliers de pages.
Anges buccinateurs : ont pour mission d’aller
réveiller les morts pour le Jugement dernier. Ils sont fréquemment représentés
dans les sculptures romanes et gothiques, ainsi que dans la peinture du XVe siècle,
notamment chez Van der Weyden (hospice de Beaune en Bourgogne) et Memling (Musée
national de Gdansk).
Je terminai « Angle mort » en automne 1986.
Ma femme le lut et demanda : Pourquoi as-tu écrit ça ? Je n’ai rien
su répondre, il n’y avait rien à expliquer. Je n’ai jamais su et ne saurai
jamais ce qu’elle a compris. Livre de l’angoisse et du dénuement. A Rians, en
Provence, j’écrivais dans la cuisine, face aux champs de maïs. — (texte retrouvé, 28 05 1995)
Ma petite-fille Lisa vient passer le weekend chez moi
dans ma bleue maison mosellane ; le vendredi soir je vais la prendre à son
école villageoise de Harlange, à 90 km de chez moi, dans le nord du pays ;
je passe par le contournement de la capitale, puis emprunte l’autoroute
(panneau : Belgique) jusqu’à Arlon, ça s’appelle « autoroute du
soleil », sans doute parce que c’est celle qu’on prend pour aller de Namur
à Naples…, province du Luxembourg belge (slogan : une ardeur d’avance — image : un sanglier), je bifurque vers
la N4 qui longe notre pays ; c’est la partie de la Wallonie qu’Alain
Bertrand a célébrée dans plusieurs de ses livres ; le village de
Martelange est à cheval sur la frontière, suivant le pointillé de la route, à
droite le Luxembourg et d’affilée une quinzaine de stations d’essence, à gauche
la Belgique et aucune station d’essence, chez nous le diesel est à 0,98 €, je
repasse (l’invisible) frontière 40 km plus loin, encore 10 km d’étroite route
de campagne, quelques petits villages à traverser, c’est le crépuscule, le
brouillard s’est transformé en givre sur les arbres, toute la journée une
maussade brume a voilé le paysage, le thermomètre à presque zéro ; à
l’école, la petite vient se précipiter dans mes bras et s’empresse de me
montrer son tout nouveau doudou : la nuit il sera avec elle sous la
couette.
A l’évocation de son nom, l’élan d’aller sortir
spontanément un des livres d’Alain Bertrand du rayon est brusquement
interrompu : le rayon n’existe plus, les dix livres d’Alain ont brûlé.
La région de la Belgique qui s’appelle aujourd’hui « Province
du Luxembourg », c’est la partie du duché de Luxembourg qui par le traité
de Londres du 28 avril 1839 passe au royaume belge. La ligne de démarcation
suit plus ou moins la frontière linguistique entre francophonie et
germanophonie.
Le duché de Luxembourg, après amputation de sa moitié,
s’appellera désormais grand-duché.
5,2 millions de doudous en peluche ont été vendus l’année
passée en France. Un des principaux fabricants se trouve à Blois. Dans sa salle
d’exposition il fait voir deux doudous presque identiques : l’un coûte 52
€, l’autre 26 € ; et il explique que la différence vient de ce qu’il fait
fabriquer l’un en France, l’autre en Chine. En France le coût de fabrication revient
à 50 € de l’heure — en Chine, c’est 50 € de la semaine.
Après « Angle mort », début novembre 1986,
je commençai à écrire « Pieds de mouche », que je terminai en
novembre 1987. Le livre fut publié en avril 1990, quatorze mois après la mort
de ma femme. Elle n’avait pas lu le manuscrit. Au moment où parut « Pieds
de mouche », je terminai le manuscrit de « Le silence inutile ».
— (texte retrouvé, 18 05 1995)
vendredi 27 novembre 2015
petit respir
peinture de Pierre Aleschinski |
Chapitre XLIII
1.
A quatorze ans je suis dans les scouts catholiques,
notre troupe s’appelle « Immaculée » ; je ne pense pas que nous
ayons jamais réfléchi au sens de ce mot exotique. Nous portions un uniforme
kaki, un foulard bleu, une solide épaisse ceinture avec une boucle ronde en
métal, et un superbe chapeau en feutre avec de larges bords, comme Baden-Powell
sur les vieilles images.
2.
Descartes, avant de se laisser choir dans le vertige
de son doute universel, avait soigneusement, prudemment, peureusement,
couardement mis entre parenthèses la religion, celle de son roi et de sa nourrice.
Ensuite, ce Dieu qu’il avait pourtant mis à l’abri, hors
de la philosophie, il en établit l’existence par un raisonnement biscornu qui
sentait sa bonne scholastique médiévale : J’ai l’idée de Dieu, être
parfait ; or, étant moi-même imparfait je ne peux pas être la cause de
cette idée, il faut donc qu’un être parfait, que j’appelle Dieu, ait mis cette
idée en moi ; donc Dieu est.
Mais ce Dieu n’est qu’une bulle lexicale, un Dieu
exsangue, chétif & fantomatique — rien à voir avec le pittoresque, puissant
et capricieux Seigneur tribal de la Bible, ni avec l’intrépide thaumaturge
galiléen que Paul de Tarse et les évangélistes, après la fin abrupte &
dramatique de sa carrière, vont hausser jusqu’au statut de Dieu.
3.
Ce n’est pas le grand souffle, c’est le petit respir,
mais ça me convient. Depuis sept ou huit ans je respire comme ça, de page en
page. Cela permet sans cesse de commencer et à tout moment d’arrêter.
Morcellement, compartimentage. Approfondir sans insister. Commencer,
recommencer. Prendre, reprendre. — (texte
retrouvé, 18 05 1995)
4.
Les Locke, Hume et Feuerbach, plus tard, vont eux
aussi mentionner cette idée de Dieu qui est dans notre tête — mais ils ne
diront plus que c’est Dieu qui l’y a mise.
Et encore un peu plus tard, Nietzsche, qui a eu lui aussi
cette idée dans sa fiévreuse caboche, y réfléchit intensément. Puis un jour, il
crayonne sur son feuillet, à propos de ce Dieu : il est mort.
5.
Quand Bernadette Soubirous demande à la dame dans la
grotte comment elle s’appelle, celle-ci bizarrement ne donne pas son nom, mais
dit : Je suis l’Immaculée Conception.
6.
Deux ans que je n’avais vu Pirotte. Puis il est là,
arrive à sa soirée de lecture — avec deux heures de retard, ça ne fait rien, il
est en forme. Il lit avec de grands gestes. Comme s’il était heureux, comme si
cela lui faisait du bien. Ce qu’on espère,
dit-il, c’est de ne plus avoir à écrire,
un jour, plus tard. — (texte retrouvé,
18 05 1995)
7.
Il y a, ecclésiastiquement, trois formules juridiques
pour exprimer l’authenticité d’une apparition de la Vierge : 1/ patet surnaturalitas [le surnaturel est
établi], 2/ non patet surnaturalitas [le
surnaturel n’est pas établi], 3/ patet
non surnaturalitas [le surnaturel est exclu].
Quand l’apparition s’accompagne de miracles, on dit :
Le doigt de Dieu est ici.
Mgr Laurence, évêque du diocèse de Tarbes, déclare en
1862, à propos des guérisons miraculeuses de Lourdes : l'apparition est divine, puisque les
guérisons portent un cachet divin. Mais ce qui vient de Dieu est vérité ! Par
conséquent, l'Apparition se disant l'Immaculée Conception, ce que Bernadette a
vu et entendu, c'est la Très Sainte Vierge ! Ecrions-nous donc : le doigt de
Dieu est ici !
8.
C’était il y a neuf ans, le vingt-cinq avril 1986, j’ai
acheté à Virton le « Journal moche », édition originale chez Luneau
Ascot, 1981, le titre m’avait plu, j’avais feuilleté, quelques phrases lues au
hasard m’avaient ému. Mon cadavre
aura-t-il l’air moins benêt si je suis alpagué dans l’instant où je trace le t
du mot mort ? — (Texte retrouvé, 18 05 1995)
9.
Le dogme de l’Immaculée Conception est proclamé le 8
décembre 1854 par le pape Pie IX dans la bulle « Ineffabilis Deus ».
Après avoir réfléchi quelque temps (huit ans) à cette
question, et aussi pour se familiariser avec les tournures latines de la bulle,
la Vierge, en personne, décide de se rendre dans une grotte au sud de la France,
en 1862, pour entrer en contact avec une adolescente de quatorze ans — et par ce
truchement, à l’adresse du pape et des théologiens, elle confirme formellement
le bien-fondé du tout nouveau dogme en se faisant appeler Immaculée Conception.
10.
Je ne savais rien de lui. Je ne savais pas encore que
je lirais tous ses livres. Je ne savais pas encore qu’un jour au Mans, je le
rencontrerais. J’avais acheté son livre le 25 avril, et le 26 avril je
commençai à écrire « Angle mort » — le 26 avril 1986, c’était aussi
le jour de Tchernobyl. Plus tard, il aima « Angle mort ». — (texte retrouvé, 18 05 1995)
LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS
jeudi 26 novembre 2015
pente passablement pentue
peinture de Pierre Aleschinski |
chapitre
XLII
1.
Un sondage Gallup, en janvier 1939, demanda aux
Américains s’ils étaient d’accord d’accueillir dans leur pays 10 000 enfants
juifs fuyant l’Allemagne nazie. Deux tiers répondirent : non.
2.
Ça s’allume.
3.
Pour ce qui est de Markson, en ce moment je lis deux
de ses livres simultanément, « La maîtresse de Wittgenstein » en
français, traduit par Martin Winkler, et « Vanishing Point », en
anglais, c’est un tourbillon, et un engrenage, et un vertige, une mélancolique
jubilation, une irritation aussi, ça vous fouette pour vous faire avancer, et vous
avancez en sentant tous ces fouettements, tous ces noms propres, c’est une
addiction, il vous les lance à la figure, vous pensiez que ces noms vous
étaient propres, que personne n’avait plus jamais prononcé les noms de Vasari,
del Sarto, de Quincey, et le voilà qui se les approprie, à commencer par
Wittgenstein, qui à mon avis appartient tout aussi légitimement à Thomas
Bernhard, même si chez lui il ne s’agit que du neveu, enfin, je dis tout ça
pour ne pas me mettre en avant, j’assiste à ma lente descente sur la pente, qui
est une pente passablement pentue, et ça finira par me conduire où je ne veux
pas aller, les ascenseurs s’ensablent (l’ai-je dit ?), les cerfs-volants
prennent feu (l’ai-je dit ?), j’ai un doigt à moitié gelé qui va sans
doute mourir.
4.
Ça s’éteint.
5.
Nous aurions tous pu/voulu le faire, et je l’ai
sporadiquement & partiellement fait : quelque chose comme « This
is not a novel » de Markson, (que l’ami Claro a traduit en français, sans
traduire le titre), une hantise, un amoncellement de hantises, une démence, une
saturnienne démence, un livre à n’en plus finir.
6.
Biographèmes qui, avec tout leur poids de désastre,
tiennent en un seul misérable verbe.
7.
J’ai différé des centaines de pages, peut-être
importantes, pour des raisons dérisoires : dérobade et déguisement. Entre
la note-crachat et les trois-phrases qui tiennent debout : écrire avec
discipline. Chaque mot-graine contiendra une page et chaque page contiendra
quelques mots-graines qui feront chacun une nouvelle page. Et ainsi de suite. —
(texte retrouvé, 08 06 1977)
8.
Au référendum du 7 juin 2015 sur l’octroi du droit de
vote pour les résidents étrangers vivant depuis plus de dix ans au Grand-duché,
près de 80% des Luxembourgeois ont dit : non.
9.
Dans la connotation d’allumer il y a déjà éteindre.
Une fois allumé ça se consume. La connotation est une signification affective
et parfois compulsive qui s’ajoute aux éléments permanents du sens d’un mot. Ce
qui est allumé va fatalement se consumer. C’est ce que les sémiologues (Peisse,
Huelmslev, Bloomfield, Rinehard, Winston, Kapsberber, Durantoc, Høgstetter,
Vaillantat, Klockwaiser et tant d’autres) vous expliquent en zyeutant un peu du
côté des poètes : puisque l’amour c’est quelque chose qui brûle, l’amour,
chaque amour, va, et ne peut aller, que vers ses cendres. C’est la loi
irrémédiable de l’entropie. Et le langage s’en donne à cœur joie d’entériner
cela, en vers ou en prose.
10.
J’aurai, dans ma vie de lecteur, mis soixante ans à
découvrir Markson. A propos de « Wittgenstein’s Mistress”, D. F. Wallace disait:
A work of a genius. An erudite,
breathtakingly cerebral novel whose prose is crystal and whose voice rivets and
whose conclusion defies you not to cry.
LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS
mardi 24 novembre 2015
prière du soir
peinture de Pierre Aleschinski |
chapitre
XLI
1.
Au petit matin d’une maussade journée de novembre, une
lumineuse page dans les « Épîtres » d’Horace, aucun maître ne me dicte où aller, je vais où le temps me porte, hôte
passager…
Combien, aux « Épîtres » de saint Paul, je
préfère celles d’Horace ; le Romain n’est à aucun moment excité, exalté,
excessif, et s’il y a des exhortations
dans ses écrits, elles concernent l’art de vivre et non pas la terreur d’être
damné pour l’éternité.
Horace écrit dans la deuxième moitié du dernier siècle
avant le déferlement de la
neurasthénie chrétienne et de ses morbides
vertiges métaphysiques.
2.
La licorne,
dite aussi unicorne, oublie toute sa férocité et sa nature sauvage à cause de
son intempérance qu’elle ne sait dominer : son goût pour les demoiselles
est si vif, que, mettant de côté tout soupçon, elle s’approche de telle jeune
fille assise, et s’endort dans son giron ; et les chasseurs alors peuvent
s’en emparer. — sur un feuillet de Léonard de Vinci
3.
Le 14 avril 2000, au Tribunal international de La
Haye, le témoin O., raconte comment, en juillet 1995, à 17 ans, au bord d’un
champ près de Srebrenica, les soldats serbes lui demandent de se déshabiller,
ses habits lui collent à la peau à cause de l’urine desséchée, le champ est
jonché de cadavres, il est debout, avec d’autres hommes, quelques soldats ont
pris position derrière eux, on leur donne l’ordre de se coucher, et aussitôt la
fusillade commence. Un peu plus tard, quand silence s’est fait, le garçon lève
la tête et aperçoit parmi les nouveaux cadavres un autre survivant, il rampe
vers lui et tend ses mains ligotées, et l’autre, avec ses dents défait la
corde. L’homme porte un t-shirt et une chemise qu’il enlève pour la déchirer en
bandelettes : il panse la blessure de O. qui peu après s’endort sur les
genoux de l’homme, car il n’avait plus dormi de puis très très longtemps. Ils
restent ainsi jusqu’au matin. Puis l’homme le réveille et lui demande : où
allons-nous ? Et le garçon répond : Je ne sais pas.
4.
Mon amante, en
allemand se dit meine Geliebte, ce
qui signifie, et rien de plus que : mon
aimée.
L’amant (latin : amans, celui qui aime) ne devrait jamais dire mon amante — qu’est-ce qui l’autorise à dire d’une femme qu’elle
l’aime ?
5.
A lire ce que Léonard écrit sur les animaux, on est
surpris de constater que le plus souvent il se contente de répéter ce que l’on
pouvait lire dans les encyclopédies et compilations médiévales où le monde
animal est conçu de manière mythique et symbolique. Ce n’est pas dans ce
domaine-là que Léonardo se montre pionnier, aucune empirie, aucune recherche —
au point que la médiévale Hildegarde de Bingen, pour ce qui est des animaux,
semble souvent bien plus pertinente que le génial savant de la Renaissance.
6.
A Karachi, le 1er février 2002, Khalid Sheikh
Mohammed, tranche la gorge du journaliste Daniel Pearl, ensuite le décapite,
plusieurs hommes sont présents à la scène qu’ils documentent en vidéo, ils
coupent le cadavre en dix morceaux, creusent un trou dans le sol de l’endroit
et enfouissent la dépouille dépecée. Ensuite ils lavent le plancher plein de
sang pour pouvoir étendre leurs tapis. Et ils font la prière du soir.
7.
Une semaine après les attentats, une jeune femme, à la
tombée du jour, devant le Bataclan tient devant elle une pancarte sur laquelle
elle a marqué : « Je suis musulmane — Daech ne l’est pas ». On
la voit discuter avec d’autres jeunes femmes, et à la fin, larmes aux yeux,
elle leur demande : un câlin.
8.
Mourir : ire
ad plures, disaient les Latins, aller là où sont la plupart.
9.
Comme savant et philosophe, Léonard de Vinci n’a
jamais rien publié, mais laisse des milliers de feuillets, en partie épars, en
partie réunis en liasses et fascicules, papiers éparpillées en Italie, en
France, en Angleterre, en Espagne, et même aux États-Unis. Des tentatives ont
été faites de d’ordonner le fatras de ces notes en les regroupant
thématiquement. Ainsi, en rassemblant les fragments sur les animaux, on peut
établir un bestiaire de Léonard.
10.
Qu’est-ce qui pouvait faire croire à l’amant que la
femme qu’il aimait l’aimait ?
Quand elle te dit je
t’aime, cela ne compte que pour la fraction de seconde où elle le dit. Pas
au-delà. Jamais au-delà.
LA LIASSE
DES DIX MILLE FRAGMENTS
étincelle d'or
peinture de Pierre Aleschinski |
dans
le maussade matin de novembre
grisaille,
silence & solitude
puis
sous la lumière de l’abat-jour
quelques
vers dans une épître d’Horace
aucun
maître ne me dicte où aller
je
vais où le temps me porte, hôte passager
dans
la poisse & la mélasse
étincelle
d’or et de joie
il
n’y a pas rien quand il y a les mots
NOUVEAUX NEUVAINS
jeudi 19 novembre 2015
misérable chimie
peinture de Pierre Aleschinski |
chapitre XL
1.
Disais-je. A plusieurs reprises. Laisse-moi te
regarder pisser. Mais elle ne voulait pas.
2.
Rosée scintille, et gelée blanche crépite, une oreille
hypersensible entendrait les cristaux crépiter, rosée de si nombreux matins,
gelée blanche de tant de froides saisons, dedans les strates de la terre tant
de squelettes, os blancs enrobés de boue, und
die Lachtauben gurren, maladie vieillesse chagrin débandade, le sourire est
parti où il n’y a plus qu’un crâne, au fond d’une boîte en laiton, un ruban,
une mèche de cheveux, quelques cartes postales, quelques lettres, des noms, des
prénoms, la gelée blanche étreint les dahlias, mortellement, und die Lachtauben gurren, la bouche
était si belle qui souriait, os blancs enrobés de boue, on est vivant,
tellement vivant et on écoute la gelée blanche crépiter, et pendant que rien ne
se passe, on colle un timbre sur une carte postale de novembre.
3.
Le petit chemin sur la colline traverse un bosquet formant
une tonnelle qui donne de l’ombre, c’est l’été, nous nous arrêtons pour nous
embrasser, puis soudain elle s’agenouille devant moi & me prend dans la
bouche.
4.
Images et bribes de récit stockés au fil des décennies
dans des milliards d’alvéoles de la cervelle, prodigieuse prouesse de la
combinatoire chimique, alerté soudain par un mot, par un nom, par un contour,
par un son, par une couleur, par une saveur, telle ou telle alvéole se met à vibrer,
la capsule éclate et lâche son contenu à vif, ce qui avait été si longtemps
enfoui surgit, et voici David dans la fournaise, David dans la fosse aux lions,
et une main de spectre écrit en lettres de feu sur la paroi du palais royal, mene tekel upharsin (Daniel, V, 30), et
la nuit, in selbiger Nacht (H. Heine),
le roi meurt assassiné, Rembrandt inscrit les mots sur son « Belsazer »
en 1635, formes, mots & couleurs dans l’alvéole, comme si cela m’appartenait,
mais je ne fais que passer, furtivement, je ne suis, avec toute ma misérable
chimie, qu’un clignotement sans conséquence.
5.
Photo de Lee Miller où l’on voit Max Ernst poser ses
deux mains sur les seins nus de Leonora Carrington.
6.
Disais-je. Je ne désire que toi. Plus tard elle n’aima
plus que je dise ça.
7.
Jentgen, je ne me souviens plus de son prénom, c’était
le préféré de notre prof de dessin, Harold Thomé, classe de VIe, nous avions
treize ans, dessinions sur une grande feuille une scène avec des indiens,
Jentgen s’appliquait et dessinait de
façon minutieuse, avec de pittoresques détails, sa feuille parsemée de
bonshommes, tous pareils, avec leurs arcs et leurs flèches, et ci & là un
cactus géant, nous trouvions cela enfantin et ridicule, (plus tard j’apprendrai
qu’on appelle ça l’art naïf), le prof
était ravi et Jentgen obtenait la meilleure note. Et pareil pour les autres
sujets, cette année-là, pour le château-fort, pour les feuilles d’automne, pour
les Vikings, pour les masques de
Carnaval, Jentgen obtenait toujours, et de loin, la meilleure note.
8.
Je me souviens des odeurs de la gouache. L’odeur du
jaune. L’odeur du bleu.
9.
Je ne saurais dire ce qui a fait éclater aujourd’hui l’alvéole
Jentgen, autant le nom que le visage. Sinon, aucune nouvelle de lui, peut-être
qu’il est mort depuis trente ou quarante ans.
10.
Zizanie dans les pronoms. Quand je disais elle, elle
pensait que les gens pensaient que c’était elle. Alors qu’il y a au monde pas
loin de quatre milliards de femmes.
LA LIASSE
DES DIX MILLE FRAGMENTS
mardi 17 novembre 2015
carpettes & chiffonniers...
dimanche 15 novembre 2015
Fragments du journal intime de Dieu - fragment 11 289
FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU
Fragment 11 289 — Au Paradis qui
existe maintenant depuis deux mille ans, les bienheureux Pensionnaires passent
leur temps, euh, je veux dire, leur éternité dans une tranquillité, une
sérénité, parfois, je dois dire, un peu à la limite d’une sorte de béate
torpeur, — bref, ils se reposent à fond et pour de bon.
A une exception près : la Sainte
Vierge.
Depuis quelques décennies, elle n’arrête
de s’agiter. On entend parfois chuchoter
dans les célestes couloirs, d’un ton gentiment narquois : « elle a
encore fait une de ses descentes… » En général, pour ce genre d’escapades,
elle met sa robe bleue.
Les mortels, en bas sur Terre, appellent
ça des apparitions ; depuis le
XIXe siècle ils en ont répertorié 2400 ; un de leurs scribes, l’abbé René
Laurentin, dans un gros livre, sur mille quatre cent vingt-six pages en a fait le
catalogue scrupuleux, avec tous les détails toponymiques, chronologiques, circonstanciels.
Le plus souvent, elle va voir des enfants,
de préférence illettrés — et ces enfants ensuite racontent aux adultes ce que la
Vierge leur a dit.
Les adultes sont impressionnés, construisent
des basiliques et organisent des pèlerinages lors desquels ils font chanter des
cantiques et mettent en place des étals avec des bougies, des chapelets, des bouteilles
d’eau bénite et des statuettes de la Vierge en robe bleue.
Avec Paul, Pierre et Jésus, entre nous en
petit cercle, on ne parle jamais de ces choses-là, ça ne les intéresse pas.
samedi 14 novembre 2015
tuer ou ne pas tuer en islam
Tuer ou ne pas tuer en islam
-- par Lambert Schlechter --
« ne tuez pas la personne humaine, car Allah
l’a déclarée sacrée »,
—
Coran, sourate VI, verset 151 (traducteur non identifié) —
verset que quelqu’un a posté ce matin sur facebook
Cela m’a interpellé, et j’ai
voulu mieux comprendre. Et j’ai fait ma recherche, pour examiner puis
juxtaposer les traductions de ce verset, qui date de l’époque mecquoise pendant
laquelle les dictées divines du Coran sont plus paisibles & pacifiques que
celles de l’époque de Médine, qui sont guerrières et souvent rudes et
agressives.
J’ouvre d’abord ma version du
Coran, dans la traduction de D. Masson (Gallimard, 1967) —
le verset se lit comme ceci :
ne tuez personne injustement ;
Dieu vous l’a interdit
cette traduction comporte une
restriction (« injustement ») complètement escamotée dans la version de
départ.
J’ai voulu en savoir plus ;
je suis allé consulter plusieurs des nombreux sites musulmans sur le net et j’ai
juxtaposé les traductions proposées (toutes sans le nom d’un traducteur) :
elles confirment toutes ce sens restrictif de l’interdiction de tuer.
ne tuez qu'en toute justice la vie qu'Allah a fait sacrée
ne tuez qu'en toute justice la vie qu'Allah a fait sacrée
http://islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/6.html
àhttp://www.islam-fr.com/coran/francais/sourate-6-al-an-am-les-bestiaux.html
[interdit] d'attenter, sauf pour une juste cause, à la vie d'autrui que Dieu a déclarée sacrée
[interdit] d'attenter, sauf pour une juste cause, à la vie d'autrui que Dieu a déclarée sacrée
vous ne tuerez point – DIEU a
fait la vie sacrée — excepté dans le cours de la
justice
ne tuez personne, car Dieu a
rendu sacrée la personne, sauf dans l’exercice d’un droit légitime
La belle et si vigoureuse citation
de départ, il convient donc de la reconnaître & démasquer comme abusivement apologéti-que - intentionnellement tronquée,
bref mensongère.
Cela donne à réfléchir.
Les tueurs de Paris, ont-ils
désobéi aux injonctions d’Allah dans le Coran ? Ou seront-ils reconnus par
Allah comme d’authentiques djihadistes et martyrs?
Dans plus d’un verset du Coran
il est dit explicitement que les infidèles, il faut les tuer, et que telle est
la volonté d’Allah.
Cette doctrine a été
lapidairement confirmée par le Savant musulman Sheik Issam Amira, dans une
conférence à la prestigieuse Mosquée Al-Aqsa du Caire, le 1er mai 2015
— les infidèles, il faut les
éliminer. Il dit : cela n’a pas de sens de laisser jouir les
infidèles de la vie dans ce monde et manger les provisions accordées par Allah,
alors qu’ils ne croient pas en lui. Non !
à
sur le site memri TV /
relayé par http://iamnotashamedofthegospelofchrist.com/2015/05/12/
al-aqsa-mosque-address-we-should-fight-polytheists-who-refuse-to-convert-to-islam-or-pay-jizya/
La vie humaine, déclarée sacrée :
cela ne vaut donc pas pour les non-musulmans.
Et Allah, dans son infinie
miséricorde, va sans aucun doute accueillir comme martyrs les djihadistes qui
viennent d’assassiner plus de cent personnes et d’en mutiler quelques centaines
d’autres.
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