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Soixantième
ou centième fois, je n’ai pas compté, que je m’apprête à écrire une lettre à
PQ, je prends mon élan, décapuchonne ma plume, ouvre mon cahier, et puis non,
l’élan retombe, je me reprends, me ressaisis, mais qui es-tu pour l’alourdir du
poids de ton feuillet, d’encombrer sa boîte aux lettres, et pourtant cela
m’aurait fait si grand bien, juste lui dire quelques mots, du plus profond de
ma mélancolie où me plonge sa mélancolie, sa mélancolie sans fond, je lui
aurais juste dit mon vertige et mon incommensurable plaisir à feuilleter ses
pages, j’ai repris pour la dixième fois, depuis août 1992, le premier traité du
premier livre des Petits Traités, et je …, et je …, et je …, c’est pareil, les
pensées jaunes & violettes dans leur fragile cageot en bois par terre sur
ma terrasse, en attente d’être mis dans des bacs, depuis des jours, c’est
pareil, j’atermoie, n’arrive pas à me résoudre, au milieu de ma page je laisse
en suspens ma lettre à PQ, qui suis-je pour l’alourdir, je vais mettre le
feuillet tel quel dans mon livre, qui risque d’être, je l’ai déjà dit, un livre
posthume, j’ai lu, relu pour la dixième fois le premier traité du premier tome
des « Petits Traités », vingt-cinq petites pages, lues avec une
émotion qui me suffoque, j’ai mis plus d’une heure, assis sur ma terrasse ce
huitième jour d’avril, une heure à lire vingt-cinq petites pages, si nous mourons, c’est que quelque chose comme
la mort est en nous, demain je reviendrai m’asseoir, relire le deuxième
petit traité, sur Spinoza, cinq pages, que j’ai lues pour la première fois il y
a presque trente ans, en été, sur la terrasse de la Galerie Maeght à
Saint-Paul-de-Vence, les « Petits Traités » venaient de paraître, faudra
rester en vie tout au long de la nuit qui vient.
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