peinture Pierre Aleschinski
115.
Nous plaçons nos hommes, une douzaine
environ, à différents endroits de la ville, appliquant un adage, dont le
sergent prétend qu’il remonte à Clausewitz, mais qu’il a sans doute bricolé
lui-même un soir de demi-déprime dans le caveau qui nous sert de logis,
cambuse, dortoir, boudoir, mouroir, et probablement bientôt de dernière
demeure, avec une poutre dans la boîte crânienne, adage donc, disais-je, qui
stipule que chaque homme abattu nous rapproche de la victoire, plus tu en tues,
mieux tu gagneras, nos hommes, aux différents endroits de la ville, sont actifs
pendant les jours d’accalmie, parce que pendant les combats il y a trop de désordre,
et les cadavres de part et d’autre, de toute façon, se comptent par centaines,
parfois par milliers, c’est la routine, les statistiques bougent
considérablement, mais pendant les jours d’accalmie, souvent ensoleillés, dans
le silence absolu, rien ne bouge, et nos tireurs sont à l’affût, derrière leurs
lunettes, puis tôt le matin, là-bas, une tête apparaît à une lucarne dans le
toit, et aussitôt nous lui explosons la cervelle, ça coule blanchâtre &
rougeâtre le long des ardoises en pente, c’est bon pour la statistique.
PROSERIES
chapitre 115
Le Murmure du monde, vol. VII
inédit
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