peinture Pierre Aleschinski
114
Quand je lui parle, ce n’est pas pour
dire ce que je pense, je ne parle que pour dire, et c’est même, comment dire, c’est
même à peu près le contraire de ce que je pense, et quand je parle tout seul,
ce que je fais presque tout le temps, c’est comme pour lui dire des choses que
je pense, mais elle n’est jamais là pour m’écouter, et si elle était là, je ne
dirais rien de ce que je pense, parce que le plus souvent quand je pense, c’est
à elle que je pense, et ça me donne envie de lui dire ce que je pense, mais si
elle était là, elle ne voudrait pas entendre ça, alors je ne cherche pas à la
voir pour lui parler, car elle me parlerait de choses qui m’empêcheraient de
dire ce que je pense, elle mettrait un vernis de mots sur l’immense silence où
je suis, ses paroles subvertiraient le vide au fond duquel je suis tombé, le
gouffre où résonnent en vain les mots que j’aimerais faire remonter à la
surface, pour les lui faire savoir, mots qui lui parleraient de moi, alors qu’elle
ne veut surtout rien savoir de moi, rien de décisif, rien de vital, c’est
traumatisant, comme cela pousse de mon côté, et comme cela repousse du sien,
une sorte d’escrime absurde, quand nous parlons ensemble, il n’y a aucun
ensemble, les mots ne veulent plus rien dire, parler n’est qu’un exercice de
phonétique abstraite, je suis tout taiseux & noireux, et vais le rester,
les tourterelles sur la colline font leur hou-hou, encore & encore,
lancinamment.
PROSERIES
chapitre 114
Le Murmure du mnde, vol. VII
inédit
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