peinture Jean Dubuffet
chapitre
27
1.
Monsieur Pinget saisit le râteau
et traverse le potager.
2.
Ils sont ensemble, depuis une
heure à deviser, il est venu la voir chez elle, elle lui montre des documents
sur l’écran, puis soudain fait pivoter sa chaise et dit : Tu ne m’as même
pas encore demandé quelle culotte je porte, et elle soulève sa robe en écartant
les jambes, et dit : Tu veux voir mes poils ?
3.
Dans l’ancien grenier, sur la
dernière des 70 étagères (500 planches, 15000 livres) de la littérature
française en ordre alphabétique il y avait une dizaine de Valéry, une dizaine
de Wajsbrot ainsi qu’un Wittig et deux Wolfromm.
4.
Je lis peu de romans, trop peu de
romans, presque pas de romans, ce sont autant de lacunes, je ne fais pas de
réflexions sur l’écriture romanesque comme fait M. L. Kaschnitz dans
« Orte und Menschen » (1986, posthume), quand elle commente des
personnages de Beckett, Bachmann, Böll, Johnson. Je lis « La nature
exposée », le dernier roman d’Erri de Luca, à raison de cinq à dix pages
par nuit, depuis deux semaines. J’avais commencé, avant le Feu, de lire
« Der Tod des Vergil » de Hermann Broch, à raison de quelques pages
par semaine, à haute voix. Le livre a disparu.
5.
Dernier tiers d’avril. Printemps.
Jeune verdure partout. Je n’ai pas vu ni senti ce printemps venir :
j’étais sur d’autres continents (en Amérique centrale, en Afrique noire et au
Portugal). Le printemps est là, sans qu’il soit venu. Cela me perturbe. Le
rythme du dedans et celui du dehors sont déphasés. Le cheminement vers la mort
est chaotisé, ça me fait des syncopes dans la métaphysique. Je dois me
réadapter. Le 20 avril il fait grand soleil le matin, et 3 degrés. Depuis mon
retour du Portugal, je me suis installé au grenier, grand bureau sous la
fenêtre. Et tout autour les étagères avec les livres qui sont encore en grand
désordre depuis le déménagement il y a deux ans, après le Feu. Je commence à
ranger, mets des étiquettes sur les planches. Sur de petits chevalets je pose
les livres que je suis en train de lire : « Ulysses » de Joyce,
lu depuis cinquante ans, « Ultima necat », le journal intime de
Philippe Murray, « Rhetorik des Schweigens. Versuch über den Schatten
literarischer Rede » (1981) de Ch. L. H. Nibbrig (livre rescapé, acheté en
octobre 1981, jamais lu). Au grenier il y a grand silence, grosses Schweigen.
Je ne vois qu’un petit carré du ciel, rien d’autre. Les livres bruissent autour
de moi. Je me concentre, choisis parmi tous les livres, ce livre-ci puis ce
livre-là, les lectures s’enchevêtrent. Quelques pages dans « Die
Notizen » de Hohl, Reden Schwatzen
Schweigen, j’ai lu la moitié de « Das Ende der Welt », le roman
de Ransmayr sur l’exil d’Ovide au bord de la Mer noire, lecture en suspens
depuis quelques semaines, mais ça reprendra, le livre reste ouvert, continue à
appeler, je sens encore Ovide tout vif, réminiscences & visions qui s’enchevêtrent
à tant d’autres lectures, puis, en guise d’intermède, sur l’écran, un homme nu
dont le sexe érigé est avec ferveur fellationné par une femme nue, au bout de
dix minutes il éjacule sur et dans la bouche de la femme, selon « Le Petit
Robert », la pornographie, c’est la
représentation de choses obscènes, et obscène, c’est ce qui blesse délibérément la pudeur en suscitant des
représentations d’ordre sexuel, le philosophe Ruwen Ogien fait remarquer
que même la carte de l’Union européenne, qui n’a rien de spécifiquement sexuel,
peut susciter des représentations d’ordre sexuel, et pourrait donc, selon la
définition robertienne, être réputée pornographique,
chaque matin, de 1894 à 1914, Valéry remplit les pages de ses cahiers, deux
cent soixante cahiers en vingt ans, différents formats, différentes encres, le doux éclat d’une épaule assez pure n’est
pas détestable à voir entre deux pensées, je ne sais pas si Valéry a laissé
des notes sur la pornographie.
6.
Après le petit repas qu’ils ont
pris dans la cuisine, il va vers elle, de l’autre côté de la table, la fait se
lever de sa chaise, tombe à genoux devant elle, l’entoure de ses bras, la
serrant contre lui en pressant le visage contre son ventre, il lui déboutonne
le pantalon, le baisse et met la bouche sur le coton blanc de la culotte, à
l’endroit du pubis, puis baisse la culotte et introduit la langue parmi les
poils en séparant les nymphes, lèche longuement, lentement, savourant l’odeur
et le goût, elle commence à flageoler sur ses jambes, elle dit : viens, et
ils montent à la chambre.
7.
Narratologie ― Ecrire à l’indicatif
du présent, cela désanecdotise.
8.
Deux petits bergers illettrés
portugais, Fransisco (9 ans) et Jacinta (7 ans), en 1917, racontent que la
Vierge Marie leur est apparue ; deux ans plus tard ils meurent de la
grippe espagnole.
Le Vatican, cent ans plus tard,
sur la base de deux miraculeux miracles, vient de les canoniser : ils sont
saints maintenant.
L’Eglise catholique, pour les
besoins de sa bigote cause, abuse de deux enfants. C’est la pédophilie élevée
au rang du sacré.
9.
Films d’horreur et littérature d’épouvante,
j’ai toujours tenu cela éloigné de moi. Pourquoi ajouter des horreurs
imaginaires à celles de la réalité ?
Les auteurs de ce genre d’ouvrages,
me semble-t-il, n’ont jamais été touchés vraiment par la réelle cruauté et
laideur humaines.
S’ils avaient pris à cœur, et ne
serait-ce que deux ou trois pages dans Primo Levi, Varlam Chalamov ou Jean
Hatzfeld, ils n’auraient plus eu envie de fantasmer sur l’angoisse et sur le
sang.
10.
You
better deal with me ― syntagme qui me fait des larmes.
AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII
inédit
.
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