Tombe
neige, tombe monotonement dans la blanche après-midi d’hiver, toutes couleurs
estompées dissoutes, tout est blanc & gris, et tombe neige tombe, amaryllis
sur le rebord de la fenêtre, à contre-jour devant le paysage monochrome, amaryllis
avec ses cinq trompettes rugit sa rutilante vive rougerie, les murs épais de la vieille maison
nous protègent, il fait bien chaud ici, il fait silence aussi, silence &
solitude, sur la table un petit chevalet avec un livre ouvert, écrit il y a
plus de soixante ans, et ce n’est pas de la littérature, pas de la philosophie,
c’est un livre qui a l’air d’un livre mais qui n’est pas vraiment un livre,
c’est Jankel Wiernik qui a rempli ces feuillets, lors du soulèvement à Treblinka
il a réussi à s’évader, dans la maison aux murs épais, on entend soudain le
ronronnement rassurant de la chaudière, elle travaille, elle maintient le
chaud, elle nous protège, l’amaryllis & moi, ma tout écarlate amaryllis
d’hiver, pendant que dehors, dans le silence, la neige continue à tomber, soudain
Jankel voit une femme belle, elle était jeune & belle, écrit-il, elle s’est
enveloppée dans une large serviette sous laquelle elle cache son bébé, et
cherche un endroit où se réfugier, c’est alors que l’Allemand la voit, lui
ordonne de descendre dans la fosse fraîchement creusée, et aussitôt la fusille,
elle et son bébé, rouge l’amaryllis d’hiver, rouge sang, vive & tendre
& belle, et après une pause la chaudière se remet à bourdonner, les corps
nus dans la chambre agonisent pendant vingt-cinq minutes, presque cinq cents personnes
sur quelques mètres carrés, et les cadavres restent debout, il n’y a pas assez
d’espace pour tomber.
inédit - projet LE FRACAS DES NUAGES, 2011
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