Fragment 938 — Avant d’être Dieu, j’avais
un nom, j’étais un dieu parmi beaucoup d’autres, j’étais le dieu des Hébreux,
je m’appelais Yahvé.
Dieu des Hébreux comme Assur était celui
des Assyriens, Marduk celui des Babyloniens, le dieu de l’Orage celui des
Hittites, Zeus celui des Grecs, Wotan celui des Germains.
C’était l’époque de la monolâtrie :
chaque peuple s’était assuré, par des sacrifices et des prières, un dieu
national qui devait l’aider à subsister et à se défendre contre ses ennemis.
L’idée ne serait jamais venue aux
monolâtres de nier l’existence de tous les autres dieux ; ils espéraient
juste que leur dieu à eux, en cas de crise, serait plus puissant que celui des
voisins, et cela galvanisait leur ferveur.
On a souvent parlé de Moïse quand on étudiait
mon cas. Moïse était un monolâtre.
C’est un anachronisme que de dire :
Moïse croyait en Dieu, Moïse ne croyait pas en Dieu, Moïse faisait allégeance,
au nom de son peuple, à Yahvé.
C’est le sens du Premier Commandement
qu’il promulgua, faisant entendre explicitement que c’est moi qui lui avais
dicté cela : « Tu n’auras pas d’autre dieu que moi » — et cela
ne voulait dire rien d’autre que : tu ne loucheras pas du côté de Marduk,
d’Assur, de Baal ou d’autres divinités.
A cette époque-là, vers le XIIIe siècle
avant l’ère nouvelle, on était partout en plein polythéisme. Ce que les savants
appelleront le monothéisme ne sera élaboré que beaucoup plus tard, plus de
mille ans après Moïse.
Longtemps avant ma carrière universelle,
j’étais un protecteur tribal, et c’est en tant que tel que je me suis présenté
à Moïse lors de notre rencontre en Egypte. Je lui dis (les mots sont marqués
dans mon livre « L’Exode », 3.15) : Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël : Yahvé, le Dieu de vos
pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, m’a envoyé vers
vous. C’est le nom que je porterai à jamais, sous lequel m’évoqueront les
générations futures.
En quoi je me suis gouré de façon
flagrante. Puisqu’une dizaine de siècles plus tard, en Europe, et ensuite dans
le reste du monde, personne (à l’exception des juifs) ne m’appellera jamais
Yahvé.
En perdant mon nom, j’ai commencé ma
toute nouvelle carrière de seul et unique Dieu de l’univers.
En termes savants : de la monolâtrie
tribale au monothéisme universel, — quelle promotion. Et plus personne ne parle
de Marduk, d’Assur, de Mithra : Yahvé a gagné le match.
dans "Fragments du journal intime de Dieu" - inédit
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