saint Hilaire de Poitiers |
Une anecdote religieuse (‘édifiante’, diraient
les croyants) insérée dans les « Essais » I, XXXIII, — je dirais : fourvoyée ; la voici
résumée (en italique les mots de Montaigne, que lui-même prend sans doute en
grande partie dans le livre où il vient de la lire : « Annales d’Aquitaine »
de Jean Bouchet).
Saint
Hilaire, Père et docteur de l’Église, évêque de Poitiers, au IVe siècle, était
en voyage en Syrie quand il apprit que sa fille unique Abra avait été demandée
en mariage par un Seigneur du pays. Aussitôt il écrivit à sa fille de renoncer
aux plaisirs et avantages qu’on lui
présentait, et qu’il avait trouvé pour elle un
parti bien plus grand et plus digne : un mari de bien autre pouvoir et
magnificence, qui lui ferait présent de robes et de joyaux de prix
inestimables. Le dessein du saint
évêque était de faire perdre à sa fille le
goût et usage des plaisirs mondains, pour la joindre toute à Dieu ; mais à cela le plus
court et plus certain moyen lui semblant être la mort de sa fille, il ne cessa,
par vœux, prières et oraisons de faire requête à Dieu de l’ôter de ce monde et
de l’appeler à soi.
Et c’est
ainsi que cela se passa. Car bientôt
après son retour, elle lui mourut, de quoi il montra une singulière joie.
La femme de
saint Hilaire, apprenant que la mort de leur fille était due au dessein et volonté du père, en conçut
une si vive attirance de la béatitude
éternelle et céleste, qu’elle sollicita son mari avec une extrême instance d’en
faire autant pour elle. Et, Dieu à leurs prières communes l’ayant retirée à soi
bientôt après, ce fut une mort embrassée avec singulier contentement commun.
Anecdote,
donc, édifiante — qui invite à l’imitation.
Et toute l’horreur
de la religion.
Difficile de
comprendre pourquoi Montaigne nous met ça dans son livre, — et surtout :
sans aucun commentaire.
Que n’a-t-il
senti derrière cette lamentable histoire, en filigrane, l’hystérique &
brutale injonction de Jésus qui nous demande de quitter père et mère et femme
et enfant, pour le rejoindre, lui, au Royaume des Cieux (voir Marc, 10, 29
et Matthieu 19) ?
Tu aurais dû
dire, Michel, avec le franc parler qu'on te connaît : Perverse & maléfique religion.
FRAGMENTS SUR LES ESSAIS
Montaigne dans le texte
.
Horrible histoire. Horrible souvenir pour moi aussi.
RépondreSupprimerMais ne vois pas le rapport entre le voeu de mort pervers d'un père pour sa fille ou sa femme et sa religion qui l'est tout autant et le "tu quitteras ton père et ta mère", qu'on peut aussi lire comme le début d'une individuation, le soi sujet en devenir, quand on le débarrasse de ses fioritures et morales religieuses. Eye asher eye. Je suis qui je serai, c'est ainsi que dieu se présente à Moïse dans le premier testament quand il lui demande qui est la voix du buisson ardent. Si le Royaume de Dieu débarrassé de son fatras d'analyses historico-critiques n'était que le lieu d'un sujet libéré et le péché, simplement la peur que tout homme éprouve, alors on peut lire le texte de la bible comme un récit de libération individuelle, de quoi faire la nique à toutes les religions. Tout est dans la définition de dieu qu'on se fait. Pour ceux qui ont besoin d'une définition.
merci, chère Christine, pour ce commentaire sensible et subtile. Si votre compréhension de Dieu vous permet de faire la nique à toutes les religions, y compris la judéo-chrétienne, je suis preneur, mais j’ai bien peur que votre façon de voir, si admirable soit-elle, ne soit marginale et archi-minoritaire
RépondreSupprimerUn regard autour de moi et vers les siècles passés ne me fait guère voir des religions qui auraient été libératrices de l’individu, au contraire