Anselm Kieffer |
chapitre X
1.
Parmi les choses que font les humains — Ils sont
habillés de noir, ils brandissent des drapeaux qui sont noirs aussi, sur les
drapeaux ils ont inscrit le nom de Dieu, ils attrapent un homme auquel ils
mettent une combinaison rouge, ils l’enferment dans une cage grillagée,
acheminent du carburant et brûlent l’homme vif
2.
Dans le petit matin du très chaud été de
1971, Pasolini écrit, dans le premier des cent douze sonnets, qu’il vient de
trouver l’idée – l’idea che mi ha
svegliato, miracolosa come la rugiada – comment se suicider : se pendre
à un arbre du jardin, mais il y a encore tous ces sonnets à écrire, la corde,
il la conservera, fidèle & rassurante, dans un petit tiroir
3.
Cet eunuque bigot de Zuckerberg m’a censuré
et bloqué sur facebook pour avoir publié le sublime spectacle «Model Tableau
Vivant / Skylight One Hanson » de Sarah Small avec cent vingt choristes,
dont la moitié nus, des hommes des femmes des jeunes des vieux des beaux des
laids, femmes avec leur ornement pubien triangulaire, hommes avec leur
explicite pendouille caudale, spectacle de chant et de chorégraphie,
surprenant, émouvant, j’en ai eu les larmes aux yeux – ma publication avait été
partagée une centaine de fois, et maintenant elle n’y est plus, bannie pour
délit de nudité. Faudrait qu’un jour quelqu’un explique en toute simplicité à
Zuckerberg, que l’être humain, quand il ne porte pas d’habits, il est nu. Qu’il
se mette devant un miroir et vérifie sur lui-même
4.
J’ai fait l’inventaire des plantes de ma
terrasse : il y en a 149, du cactus miniature à l’olivier de plus de deux
mètres, c’est un bonheur de chaque instant, je ne partirai nulle part cet été,
mon ailleurs, c’est ici
5.
Rien de tout cela, disais-je, ne me revient,
mais c’est là, comme si j’y étais, le monde est là, le ciel est là, et il fait
soleil, et je suis là, avec mon hébétude, autant que ma lucidité, je suis
hébété, tout le temps hébété devant le monde
6.
Je me force tout le temps à prendre en
considération que le monde est là, alors qu’il est là avec une évidence si
dévastatrice, mais tout le temps, tout au fond de moi, ça déclare : n’y a
pas n’y a pas, comme si je m’exerçais, pour le temps, bientôt, où je ne serai
plus là
7.
Permanent soliloque aphasique
8.
Moteur, là-bas, sur la colline, qui pétarade,
et ici, tout près, sur le toit, ce vulgaire pigeon qui roucoule vulgairement,
et ces deux guêpes qui viennent tournoyer autour de ma table, et ma pulsion de
les tuer, et le ciel est là, tout bleu, et le soleil, je déclare qu’il fait
bleu dans ma vie, il y a quelques semaines j’ai eu un horrible cauchemar,
nightmare tout noir, et j’ai survécu, des tâches incontournables m’attendent,
arroser les fleurs, arroser les fleurs, celles qui sont assoiffées, et celles
qui le sont moins, et réminiscence de Calaferte, quand il parle du sexe, quand le sexe s’éteindra — Dieu sera
réellement mort, sans cesse
je feuillette ses livres, ceux qui ont honte
du sexe portent avec eux la mort, sa manie de mettre des majuscules
9.
Les agapanthes maintenant sont flétries, les
blanches et les bleues, les longues tiges sont déplumées, agapanthus africanus,
en latin c’est masculin
10.
Deux livres à lire en permanence jusqu’à la
fin de la vie, « Der Mann ohne Eigenschaften » et « Der Tod des
Vergil », c’est des livres qui peuvent à tout moment brûler, je le sais,
tous les livres peuvent à tout moment brûler, don’t forget that, pensée qui me
vient pendant que roucoule vulgairement le sale pigeon, c’est l’été, je fais
une page, le ciel est bleu
LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS
chap. 10
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