Fragment 921 — C’est eux
qui ont forgé la tournure le doigt de
Dieu ; en fait c’est mon index tel qu’on le voit sur une fresque dans
la voûte de la Sixtine.
Quelque chose sur terre
arrive, grand événement ou menu incident, qu’importe, et on les entend
dire : c’est le doigt de Dieu.
Je les laisse dire — dans
l’ignorance où ils semblent être, aussi naïve que surprenante, de ma foncière
immuabilité métaphysique : on le sait bien pourtant, au moins depuis
Parménide, que la perfection c’est l’immobilité et non la bougeotte — et cela
implique forcément un engourdissement sinon une atonie physique, une motricité
nulle quant à mes membres, et donc mes mains et donc mes doigts et donc mon
doigt.
Parmi les millions
d’occasions où ils ont dit : c’est
le doigt de Dieu, il y a celle de Pascal, en hiver 1654, quand sur le pont
de Neuilly les quatre chevaux de sa voiture basculent dans la Seine et que
l’attelage se rompt, ce qui fait de justesse échapper le philosophe à la
noyade.
Pendant près de deux
semaines, traumatisé corps & âme, il tombe dans une noire inconscience et
quand il finit par revenir à lui, il s’écrie : c’était le doigt de Dieu — et il passe le reste de sa vie à faire
mon apologie.
Cela me fait sourire en
cachette : voilà une des plus brillantes publicités qu’on m’ait jamais
faite, sans que j’aie eu à remuer le petit doigt.
Fragment 922 — Le jour où
Montaigne a son dramatique et presque mortel accident de cheval, il n’y voit
pas le doigt de Dieu — et n’a donc pas à se convertir. Loupé pour moi.
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