peinture de Pierre Aleschinski |
mercredi 27 janvier 2016
à cause grimace des mots
chapitre
LII
1.
Depuis quelques jours dans « King Lear », à cause
vieillesse (age is unnecessary…II, 2),
à cause perte de la raison, à cause trahison, à cause sexe, à cause adultère (the forfended place, V, 1 — prendre en elle le chemin jusqu’à l’endroit
interdit…), à cause solitude, à cause démence, vertige & grimace des
mots.
2.
Dans un fragment préservé du traité de gynécologie du
médecin grec Soranos d’Éphèse (début du IIe siècle), on lit que par nature le
sexe féminin diffère à ce point du sexe masculin qu’Aristote et l’épicurien
Zénon [de Sidon] ont dit que le sexe féminin est imparfait, tandis que le sexe
masculin est parfait.
3.
L’influence de Montaigne sur Shakespeare, telle qu’on
a pu la constater dans « The Tempest », « Hamlet » et « King
Lear », consiste en des emprunts aussi bien linguistiques que thématiques.
Shakespeare lit Montaigne en anglais, dans la
brillante traduction de John Florio parue en 1603. Les érudits ont relevé qu’on
trouve dans Florio une centaine de mots que Shakespeare n’emploie pas avant « King
Lear » (1608) ou qu’il emploie sans un sens nouveau.
Des idées, des tournures et des mots des « Essais »
entrent dans le texte de « Lear » par la bouche du protagoniste.
« King Lear », la plus grande tragédie de
Shakespeare, est aussi, écrit Gilles Montsarrat, la plus théologique ; sans avoir rien de spécifiquement
chrétien, on peut voir le pluralisme
théologique, générateur de doute et de mystère [comme] un effet de la lecture
des pages de « L’Apologie » « Essais, II, XII) où Montaigne
passe en revue les diversités des opinions religieuses. Il est plus souvent
question dans « Lear » de dieux que de Dieu.
Phrase tout à fait shakespearienne quand Montaigne
écrit : Qui ne scait combien est
imperceptible le voisinage d’entre la folie avec les gaillardes élévations d’un
esprit libre ? (« Essais », II, XII).
4.
Guido Ceronetti, vieillard, se plaint de vivre désormais
senza più carezze (propos rapporté
par Jean-Louis Kuffer).
5.
Par un matin d’été, après une nuit d’amour, alors que nous
descendons une venelle en pente dans la vieille ville de VK**, elle dit : T’ai-je déjà dit ce matin que je t’aime ?
6.
Cul et bite et con, faut pas dire, pas nommer — et
Montaigne s’en moque, il écrit : Nous
avons appris aux Dames de rougir oyant seulement nommer ce qu’elles ne
craignent aucunement à faire ; nous n’osons appeler à droict nos membres,
et ne craignons pas de les employer à toute sorte de desbauche… (II, XVII).
Shakespeare lit cela dans la traduction de John Florio :
We have taught ladies to blush, only by
hearing that named which they nothing fear to do — et quand Lear dans son
éloge de la copulation, dans la cinquième scène du IVe acte, fustige cette sainte nitouche dont le visage annonce
un entrejambe de glace (« whose face between her forks presages snow…)
et proclame : and does shake the
head / To hear of pleasure’s name (elle fait non de la tête / Au seul nom du plaisir…).
7.
Moments de la journée où certaines perspectives à l’intérieur
de ma maison prennent des airs de Hammarshøi.
8.
Sur la Maya nue en grand format suspendue dans une niche
de la bibliothèque, il y a toute la journée un faisceau de lumière. Féminité à
l’état pur ainsi peut irradier dans ma caverne d’étude. Femme, corps de femme,
nudité de femme, sexe de femme.
9.
Je lui avais écrit : C’est comme si tu étais
morte. Elle avait répondu : Mais je suis morte. Elle voulait dire qu’elle
n’était plus celle qu’elle avait été. Elle voulait dire que le présent n’était
plus le passé. Elle voulait dire qu’elle vivait maintenant une autre vie. Elle
voulait dire que je n’étais plus dans sa vie. Elle voulait dire qu’il n’y a
plus rien à dire sur l’ancienne vie. Elle voulait dire qu’il vaudrait mieux que
je disparaisse. Elle voulait dire que l’horloge du désir et de la passion avait
interrompu son tictac. Elle voulait dire que tout cela n’avait été qu’une
éphémère passagère secousse. Elle voulait dire que le corpus de l’ensemble des mots
d’amour était maintenant un corpus d’archivage plombé. Elle voulait dire que je
pouvais vieillir maintenant loin d’elle et sans elle.
10.
Comme il ne s’est rien passé de notable, on pourrait
noter que le camion vert est passé pour collecter les bouteilles vides. Plus la
peine qu’elles aillent à la mer.
LA LIASSE
DES DIX MILLE FRAGMENTS
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Touchée... coulée.
RépondreSupprimer