Jean-Marie Biwer - Sunset Painting, 2012 |
paru dans l'hebdomadaire LE JEUDI
12 avril 2012
Pâques, une catastrophe pour
l’humanité
A
l’aube de notre civilisation occidentale, au milieu du premier millénaire avant
l’ère chrétienne, dans le bassin méditerranéen et au Proche-Orient, la pensée
humaine avait commencé à éclore et avait conçu les premiers concepts
philosophiques dont la plupart serviront à échafauder les grands systèmes
philosophiques européens.
Concepts
élaborés par la raison, sans recours à des inspirations surnaturelles. C’était
le tout début de l’émancipation rationnelle dans un contexte encore général
d’un univers culturel caractérisé par les superstitions et une conception
magique du monde.
Le
jour où Anaxagore, au milieu du Ve siècle avant JC leva les yeux vers le ciel,
pointa le soleil et proféra : « Le soleil n’est pas notre père, mais
un morceau de roc ! » — le jour où Pythagore
déclara : « Tout est nombre et le nombre est dans tout ! » —
ce jour-là, solennel et sensationnel, débuta la longue filière des penseurs et
chercheurs qui plus loin allait déboucher sur Copernic, Galilée, Newton et
Einstein…
L’humanité
avait commencé à penser.
L’humanité
était en train d’apprendre à regarder l’univers avec un regard nouveau —
le désir de connaissance était en train de germer. L’homme ne se soumettait
plus aux forces effrayantes, opaques et magiques d’une nature incompréhensible,
régie par des forces occultes et divines qu’il fallait apaiser et conjurer par
des prières et des sacrifices.
Et
d’autres penseurs apparurent qui réfléchissaient sur le sens à donner à la vie,
et élaborèrent des philosophies qui devaient apprendre aux hommes à trouver
équilibre et bonheur pour le corps et l’esprit : ce furent les Stoïciens,
les Epicuriens, les Cyniques, les Hédonistes, les Sceptiques…
Ils
eurent en commun de chercher des réponses aux questions existentielles par la
seule voie de la réflexion, par la seule élaboration rationnelle —
et sans recours aucun à des instances surnaturelles et des inspirations
divines.
Vers
la même époque, en Extrême-Orient, le même phénomène se produisit : des
penseurs apparurent qui développèrent des philosophies avec un ensemble de
préceptes qui devaient amener les hommes à devenir libres et à trouver le
bonheur.
Ainsi
le confucianisme qui est une philosophie pratique dans laquelle les divinités
ne jouent aucun rôle ; le taoïsme qui est une métaphysique hautement
abstraite, une spiritualité purement conceptuelle ; et le bouddhisme qui,
comme doctrine anti-hindouiste, est athée de façon militante.
Tous
ces systèmes de pensée, qu’ils soient occidentaux ou asiatiques, ont en commun
de libérer les êtres humains de l’emprise des religions.
Et
c’est dans ce contexte, qu’au premier siècle de notre ère, va exploser une
religion nouvelle.
Car
voici, vers l’an Zéro, qu’apparaît un Galiléen charismatique passablement
illuminé, qui s’appelle Iéshoua et qui se dit envoyé par Yahvé. Il rassemble un
certain nombre de personnes autour de lui, les impressionne par quelques
miracles et exprime son intention de revivifier la spiritualité juive qui lui
semble sclérosée dans un légalisme stérile et hypocrite. Comme d’autres auteurs
de la tradition juive, il enseigne l’amour du prochain —
et il ajoute même l’amour de l’ennemi. Devant une grande foule il fait son
admirable Sermon sur la montagne [Mathieu, 5.7], qui contient l’essentiel de
son enseignement généreux.
Mais
comme tant d’autres illuminés gnostiques de son époque il prédit aussi, en
termes dramatiques, la toute proche Fin du monde, dans les quinze, vingt ans à
venir [Luc, 21, 20-34]. Et il menace de mort et de damnation ceux qui ne le
suivent pas : « Quant à mes
ennemis, qui n’ont pas voulu de moi pour roi, amenez-les ici et égorgez-les en
ma présence ! » [Luc, 19, 27].
Les
Juifs commencent à beaucoup s’énerver et obtiennent sa condamnation à mort. Il
meurt sur une croix romaine.
Trois
jours plus tard, quelques-uns de ses sectaires commencent à répandre la
nouvelle qu’il est revenu.
Qu’il
est ressuscité.
Et
c’est, du jour au lendemain, la naissance d’une nouvelle religion, qui, telle
une coulée dévastatrice, va submerger le monde méditerranéen en quelques
siècles.
Le
fondateur de cette religion, la plus puissante que le monde ait connue, c’est
Paul de Tarse, un autre illuminé qui se dit « élu de Dieu dès le sein de sa mère » [Epître aux Galates,
1,15] pour élaborer et propager la doctrine que le Galiléen « ressuscité » est Fils de Dieu, et
donc Dieu lui aussi. Et ce Dieu réprouvera et damnera pour l’éternité tous ceux
qui ne croient pas en lui [Cor, 16,22].
Et
Paul, comme Jésus l’avait fait, jette l’anathème sur quiconque réfléchit et
pense par lui-même : « si
quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu (de
moi…), qu’il soit maudit ! » [Gal,
1,9].
Et
c’est la fin de toute pensée.
A
partir de maintenant il n’y a plus que la foi. Et l’obéissance inconditionnelle à ceux qui s’en disent les
propagateurs inspirés.
Le
matin de Pâques, à Jérusalem, en l’an 33, a lieu la catastrophe qui dans le monde
antique abolit la pensée. La pensée autonome. La pensée, fleur et fruit de la
raison humaine.
Toutes
les philosophies qui depuis des siècles étaient en train de s’épanouir vont
être censurées, interdites, persécutées ; les écoles et académies sont
fermées ; les bibliothèques nettoyées ;
et des centaines d’œuvres détruites à jamais.
C’est
la régression vers le religieux. Le retour à l’archaïque conception
magico-surnaturelle de l’univers.
Pour
de longs siècles la philosophie va être réduite au silence —
et ne survivra que dans la clandestinité et le danger de mort.
Et
ce sera l’immense échafaudage de la théologie avec ses dogmes absurdes et
effrayants devant lesquels la raison humaine n’a qu’à se taire, puisque la
théologie est inspirée directement par Dieu.
Heureusement,
depuis quelques siècles, la philosophie est ressuscitée. Et Dieu, ça se
discute. Philosophiquement.
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